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corde, et planant muet comme les autres sur la scène qui venait de se passer. Aussitôt Toukal laissa filer la corde, et Cambeba, à sa grande satisfaction, se retrouva sur la terre. Son premier soin fut de se mettre à la recherche de sa banane ; mais, dans la confusion, qui avait été naturellement la suite de la scène que nous venons de raconter, la banane avait disparu.

Pendant cette recherche, Laïza était sorti ; mais presque aussitôt il rentra, portant sur ses épaules un porc marron, qu’il jeta près du foyer.

— Tenez, enfants, dit-il, j’ai pensé à vous ; prenez et partagez.

Cette action, et les paroles libérales qui l’accompagnaient, touchaient deux cordes trop sensibles aux cœurs des noirs, la gourmandise et l’enthousiasme, pour ne pas produire leur effet. Chacun entoura l’animal et s’extasia à sa manière.

— Oh ! que bon souper nous va faire à soir, dit un Malabar.

— Li noir comme un Mozambique, dit un Malgache.

— Li gras comme un Malgache, dit un Mozambique.

Mais, ainsi qu’il est facile de le présumer, l’admiration était un sentiment trop idéal, pour que ce sentiment ne fît pas bientôt place à quelque chose de plus positif. En un clin d’œil, l’animal fut dépecé, une partie mise en réserve pour le jour suivant, et l’autre coupée en tranches assez minces et que l’on étendit sur des charbons et en morceaux un peu plus solides que l’on fit rôtir devant le feu.

Alors chacun reprit sa première place, mais d’un visage plus joyeux ; car chacun était dans l’attente d’un bon souper. Cambeba seul restait debout, triste et isolé dans un coin.

— Que fais-tu là, Cambeba ? demanda Laïza.

— Moi faire rien, papa Laïza, répondit tristement Cambeba.

Papa est, comme chacun sait, un titre d’honneur chez les nègres, et tous les nègres de l’habitation, depuis le plus jeune jusqu’au plus vieux, donnaient ce titre à Laïza.

— Est-ce que tu souffres encore d’avoir été attaché par la ceinture ? demanda le nègre.

— Oh ! non, papa, moi pas douillet comme cela.