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le regard hautain, les narines gonflées : — Tu es un chien ! — dit-il pour la troisième fois.

Un blanc se fût jeté sur son ennemi et l’eût étouffé si la chose eût été en son pouvoir. Antonio, au contraire, fit un pas en arrière, plia sur ses longues jambes, se ramassa comme un reptile qui va s’élancer sur sa proie, et par un mouvement imperceptible, tira son couteau de la poche de sa jaquette et l’ouvrit.

Nazim vit son mouvement et devina son intention ; mais sans daigner faire un seul geste de défense, et debout, muet et immobile, il attendit, pareil à un dieu nubien.

Le Malais couva un instant son ennemi du regard, puis, se redressant avec la souplesse et l’agilité d’un serpent :

— Malheur à toi ! s’écria-t-il, Laïza n’est point là.

— Laïza est là, dit une voix grave.

Celui qui avait prononcé ces paroles les avait prononcées de son ton de voix habituel ; il n’y avait pas ajouté un geste, il ne les avait pas accompagnées d’un signe, et cependant au son de cette voix Antonio s’arrêta court, et son couteau, qui n’était plus qu’à deux pouces de la poitrine de Nazim, échappa de sa main.

— Laïza ! s’écrièrent tous les nègres en se retournant vers le nouvel arrivant, et en prenant à l’instant même l’attitude de l’obéissance.

Celui qui n’avait eu qu’un mot à dire pour produire une impression si puissante sur tout ce monde et même sur Antonio, était un homme dans la force de l’âge, d’une taille ordinaire, mais dont les membres vigoureusement musclés annonçaient une force colossale. Il se tenait debout, immobile, les bras croisés, et de ses yeux à demi-clos comme ceux du lion qui médite, s’échappait un regard brillant, calme et impérieux. À voir tous ces hommes attendre ainsi, dans un respectueux silence, une parole ou un signe de cet autre homme, on eût dit une horde africaine attendant la paix ou la guerre d’un signe de tête de son roi ; ce n’était pourtant qu’un esclave parmi des esclaves.

Après quelques minutes d’une immobilité sculpturale, Laïza leva lentement la main, et l’étendit vers Cambeba, qui, pendant tout ce temps, était resté suspendu au bout de sa