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sourde oreille, et les demandes les plus instantes n’obtinrent d’autre réponse que ce silence incompréhensible et obstiné.

Enfin, un de ceux qui se trouvaient le plus voisin de lui frappant sur son épaule :

— Qu’as-tu donc, Malaï, demanda-t-il ; es-tu mort ?

— Non, répondit Antonio. Je suis bien vivant.

— Que fais-tu donc alors ?

— Je pense.

— Et à quoi penses-tu ?

— Je pense, dit Antonio, que le temps de la berloque est un bon temps. Quand le bon Dieu a éteint le soleil et que l’heure de la berloque arrive, chacun travaille avec plaisir, car chacun travaille pour soi, quoi qu’il y ait des paresseux qui perdent leur temps à fumer, comme toi, Toukal ; ou des gourmands qui s’amusent à faire cuire des bananes, comme toi, Cambeba. Mais, comme je l’ai dit, il y en a d’autres qui travaillent. Toi, Castor, par exemple, tu fais tes chaises ; toi, Bonhomme, tu fais tes cuillers de bois ; toi, Nazim, tu fais ta paresse.

— Nazim fait ce qu’il veut, répondit le jeune nègre ; Nazim est le cerf d’Anjouan, comme Laïza en est le lion, et ce que font les lions et les cerfs ne regarde point les serpents.

Antonio se mordit les lèvres, puis après un moment de silence pendant lequel il sembla que la voix stridente du jeune esclave continuait de vibrer, il reprit :

— Je pensais donc et je vous disais que le temps de la berloque était un bon temps ; mais pour que le travail ne soit pas une fatigue, pour toi, Castor, et pour toi, Bonhomme ; pour que la fumée du tabac te semble meilleure, Toukal ; pour que tu ne t’endormes pas pendant que ta banane cuit, Cambeba, il faut quelqu’un qui vous raconte des histoires ou qui vous chante des chansons.

— C’est vrai, dit Castor, et Antonio sait de bien belles histoires et chante de bien jolies chansons.

— Mais quand Antonio ne chante pas ses chansons et ne conte pas ses histoires, dit le Malaï, qu’arrive-t-il ? que tout le monde s’endort, parce que tout le monde est fatigué du travail de la semaine. Alors, il n’y a plus de berloque ; toi, Castor, tu ne fais plus tes chaises de bambou ; toi, Bonhomme, tu ne fais plus tes cuillers de bois ; toi, Toukal, tu laisses étein-