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lieu de se coucher dans un lit chaud et doux, il s’enveloppait dans son manteau, se jetait sur une peau d’ours et dormait là toute la nuit. Un instant, la nature surprise hésita, ne sachant si elle devait rompre ou triompher. Georges sentait qu’il jouait sa vie, mais que lui importait sa vie, si sa vie n’était pas pour lui la domination de la force et la supériorité de l’adresse ! La nature fut la plus puissante ; la faiblesse physique, vaincue devant l’énergie de la volonté, disparut comme un serviteur infidèle chassé par un maître inflexible. Enfin, trois mois d’un pareil régime fortifièrent tellement le pauvre chétif, qu’à son retour ses camarades hésitaient à le reconnaître. Alors ce fut lui qui chercha querelle aux autres et qui battit à son tour ceux qui l’avaient tant de fois battu. Alors ce fut lui qui fut craint et qui, étant craint, fut respecté.

Au reste, par une harmonie toute naturelle, à mesure que la force se répandait dans le corps, la beauté s’épanouissait sur le visage : Georges avait toujours eu des yeux superbes et des dents magnifiques ; il laissa pousser ses longs cheveux noirs dont, à force de soins, il corrigea la rudesse native, et qui s’assouplirent sous le fer. Sa pâleur maladive disparut pour faire place à un teint mat plein de mélancolie et de distinction : enfin le jeune homme s’étudia à être beau, comme l’enfant s’étudiait à être fort et adroit.

Aussi, lorsque Georges, après avoir fait sa philosophie, sortit du collége, c’était un gracieux cavalier de cinq pieds quatre pouces, mais, comme nous l’avons dit, quoique un peu mince, admirablement pris dans sa taille. Il savait à peu près tout ce qu’un jeune homme du monde doit savoir. Mais il comprit que ce n’était pas assez que d’être, en toutes choses, de la force du commun des hommes ; il décida qu’en toutes choses il leur serait supérieur.

Au reste, les études qu’il avait résolu de s’imposer lui devenaient faciles, débarrassé qu’il était de ses travaux scolastiques, et maître désormais de tout son temps. Il fixa à l’emploi de sa journée des règles dont il résolut de ne pas se départir : le matin à six heures, il montait à cheval ; à huit heures, il allait au tir au pistolet ; de dix heures à midi, il faisait des armes ; de midi à deux heures, il suivait les