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résolut-il bien à suivre une conduite tout opposée à celle qu’avait suivie son père, et à marcher, quand la force lui serait venue, d’un pas ferme et hardi, au-devant de ces absurdes oppressions de l’opinion, et si elles ne lui faisaient point place, à les prendre corps a corps, comme Hercule Antée, et à les étouffer entre ses bras. Le jeune Annibal, excité par son père, avait juré haine éternelle à une nation ; — le jeune Georges, malgré son père, jura guerre à mort à un préjugé.

Georges quitta la colonie après la scène que nous avons racontée, arriva en France avec son frère et entra au collége Napoléon. À peine assis sur les bancs de la dernière classe, il comprit la différence des rangs, et voulut arriver au premier : pour lui la supériorité était une nécessité d’organisation ; il apprit vite et bien. Un premier succès affermit sa volonté en lui donnant la mesure de sa puissance. Sa volonté en devint plus forte, et ses succès en devinrent plus grands. Il est vrai de dire que ce travail de l’esprit, que ce développement de la pensée, laissaient le corps dans son état de chétiveté primitive : le moral absorbait le physique, la lame brûlait le fourreau ; mais Dieu avait donné un appui au pauvre arbrisseau. Georges reposait en paix sous la protection de Jacques, qui était le plus robuste et le plus paresseux de sa classe, comme Georges en était le plus travailleur et le plus faible.

Malheureusement cet état de choses dura peu. Deux ans après leur arrivée, comme Jacques et Georges étaient allés passer ensemble leurs vacances à Brest, chez un correspondant de leur père auquel ils étaient recommandés, Jacques, qui avait toujours eu un goût décidé pour la marine, profita de l’occasion qui s’offrait, et ennuyé de sa prison, comme il appelait le collége, s’embarqua sur un corsaire, qu’il donna à son père, dans la lettre qu’il lui écrivit, pour un bâtiment de l’État. De retour au collége, Georges sentit alors cruellement l’absence de son frère. Sans défense contre les jalousies qu’avaient suscitées ses triomphes d’écolier, et qui, du moment où elles pouvaient être assouvies, devenaient de véritables haines, il fut honni par les uns, battu par les autres, maltraité par tous ; chacun avait pour lui son injure favorite. Ce fut une dure épreuve ; Georges la supporta courageusement.