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me si ce doute avait disparu devant une conviction entière :

— C’est bien lui, murmura-t-il ; mon Dieu ! comme il est changé !

Alors, après avoir regardé un instant encore le vieillard avec un air de singulier intérêt, le jeune homme prit un chemin par lequel il pouvait arriver près de lui sans être vu, manœuvre qu’il exécuta heureusement, après s’être arrêté deux ou trois fois en route en appuyant sa main sur sa poitrine, comme pour donner à une émotion trop forte le temps de se calmer.

Quant au vieillard, il ne bougea point à l’approche de l’étranger, si bien qu’on eût pu croire qu’il n’avait pas même entendu le bruit de ses pas, ce qui eût été une erreur, car à peine le jeune homme se fut-il assis sur le même banc que lui, qu’il tourna la tête de son côté, et que le saluant avec timidité, il se leva et fit quelques pas pour s’éloigner.

— Oh ! ne vous dérangez pas pour moi, monsieur, dit le jeune homme.

Le vieillard se rassit aussitôt, non plus au milieu du banc, mais à son extrémité.

Alors il y eut un moment de silence entre le vieillard, qui continua de regarder la mer, et l’étranger, qui regardait le vieillard. Enfin, au bout d’un instant de muette et profonde contemplation, l’étranger prit la parole.

— Monsieur, dit-il à son voisin, vous n’étiez sans doute point là, lorsqu’il y a une heure et demie à peu près, le Leycester a jeté l’ancre dans le port.

— Pardonnez-moi, monsieur, j’y étais, répondit le vieillard avec un accent où se confondaient l’humilité et l’étonnement.

— Alors, reprit le jeune homme, alors vous ne preniez aucun intérêt à l’arrivée de ce bâtiment venant d’Europe ?

— Pourquoi cela, monsieur ? demanda le vieillard de plus en plus étonné.

— C’est qu’en ce cas, au lieu de rester ici, vous seriez comme tout le monde descendu sur le port.

— Vous vous trompez, monsieur, vous vous trompez, répondit mélancoliquement le vieillard en secouant sa tête blanchie ; je prends au contraire, et j’en suis certain, un plus