Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raître tout à coup, au milieu de toutes ces figures insignifiantes, une figure amie.

Parmi les groupes qui attendaient les étrangers à l’endroit qu’on appelle caractéristiquement la Pointe-aux-Blagueurs, il y en avait un dont le centre se composait d’un gros homme de cinquante à cinquante-quatre ans, aux cheveux grisonnants, aux traits vulgaires, à la voix éclatante, aux favoris taillés en pointe et venant joindre de chaque côté le coin de la bouche, et d’un beau garçon de vingt-cinq à vingt-six ans ; le gros homme était vêtu d’une redingote de mérinos marron, d’un pantalon de nankin et d’un gilet de piqué blanc. Il portait une cravate à coins brodés, et un long jabot garni de dentelle flottait sur sa poitrine. Le jeune homme, dont les traits un peu plus accentués que ceux de son voisin avaient cependant avec ceux-ci une telle ressemblance, qu’il était évident que ces deux individus se touchaient par les liens les plus proches de la parenté, était coiffé d’un chapeau gris, portait un mouchoir de soie noué négligemment autour du cou, était vêtu d’un gilet et d’un pantalon blancs.

— Voilà, par ma foi ! un joli garçon, dit le gros homme en regardant l’étranger qui passait en ce moment à quelques pas de lui, et je conseille, s’il doit faire séjour dans notre île, à nos mères et à nos maris, de veiller sur leurs femmes et leurs filles.

— Voilà un joli cheval, dit le jeune homme en portant un lorgnon à son œil, pur sang si je ne me trompe, tout ce qu’il y a de plus arabe, arabissime.

— Connais-tu ce monsieur, Henri ? demanda le gros homme.

— Non, mon père, mais s’il veut vendre son cheval, je sais bien qui lui en donnera mille piastres.

— Ce sera Henri de Malmédie, n’est-ce pas, mon enfant, dit le gros homme, et tu feras bien, si le cheval te plaît, de t’en passer la fantaisie ; tu le peux, tu es riche.

Sans doute l’étranger entendit l’offre de monsieur Henri et l’approbation qu’y donnait son père, car sa lèvre se releva dédaigneusement et il fixa tour à tour sur le père et sur le fils un regard hautain, et qui n’était pas exempt de menace ; puis,