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donnait, et qu’il était si loin de paraître. Puis, abandonnant son examen pour revenir à la question qui lui avait été faite :

— Oui, oui, dit-il ; oui, je me rappelle cette bataille et une autre encore, — mais qui eut lieu à l’extrémité opposée de l’île. — Connaissez-vous Port-Louis, milord ?

— Non, monsieur, je ne connais que ce côté du rivage. Je fus blessé dangereusement au combat de Grand-Port, et transporté prisonnier en Europe. Depuis ce temps je n’ai pas revu les mers de l’Inde, où je vais probablement faire un séjour indéfini.

Puis, comme si les dernières paroles qu’ils avaient échangées venaient d’éveiller dans ces deux hommes une source d’intimes souvenirs, chacun d’eux s’éloigna machinalement de l’autre, et s’en alla rêver en silence, l’un à la proue, l’autre au gouvernail.

Ce fut le lendemain de cette conversation, qu’après avoir doublé l’île d’Ambre et être passé à l’heure prédite au pied de l’île Plate, la frégate le Leycester fit, comme nous l’avons indiqué au commencement de ce chapitre, son entrée dans la rade du Port-Louis, au milieu de l’affluence habituelle qui accueillait l’arrivée de chaque bâtiment européen.

Mais cette fois l’affluence était plus grande encore que de coutume, car les autorités de la colonie attendaient le futur gouverneur de l’île, qui, au moment où l’on doubla l’île des Tonneliers, monta sur le pont en grand uniforme d’officier général. Le jeune homme aux cheveux noirs connut donc seulement alors le grade politique de son compagnon de voyage dont il n’avait appris jusque-là que le titre aristocratique.

En effet, l’Anglais aux cheveux blonds n’était autre que lord Williams Murrey, membre de la Chambre-Haute, qui, après avoir été tour à tour marin et ambassadeur, venait d’être nommé gouverneur de l’île de France, pour Sa Majesté Britannique.

Nous invitons donc le lecteur à reconnaître en lui ce jeune lieutenant qu’il a entrevu à bord de la Néréide, couché aux pieds de son oncle le capitaine Villougby, blessé au côté d’un éclat de mitraille et dont nous avions annoncé non-seulement