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lieutenant le porte-voix, ce sceptre du capitaine de vaisseau qui est aux mains de celui qui le porte le signe de l’absolu commandement.

Pendant tout ce temps, son compagnon, sur la figure calme duquel, hâtons-nous de le dire, il eût été impossible de reconnaître la moindre trace d’émotion, l’avait suivi des yeux avec cette expression envieuse de l’homme obligé de se reconnaître à lui-même une infériorité sur celui dont jusque-là il s’était cru l’égal. Puis lorsque le danger passé, ils s’étaient retrouvés côte à côte, il s’était contenté de lui dire :

— Vous avez donc été capitaine de vaisseau, milord ?

— Oui, avait répondu simplement celui auquel on donnait ce titre honorifique ; j’ai même atteint le grade de commodore, mais depuis six ans je suis passé dans la diplomatie, et au moment du péril je me suis souvenu de mon ancien métier : voilà tout.

Puis il n’avait plus une seule fois été question de cette circonstance entre ces deux hommes : seulement, il était visible que le plus jeune des deux était intérieurement humilié de cette supériorité que son compagnon avait, d’une façon si inattendue, acquise sur lui, et qu’il eût certainement ignorée sans l’événement qui l’avait en quelque sorte forcé de la mettre au jour.

La demande que nous avons rapportée, et la réponse qu’elle provoqua, indique au reste que ces deux hommes ne s’étaient fait, pendant les trois mois qu’ils venaient de passer ensemble, aucune question sur leur position sociale respective. Ils s’étaient reconnus pour frères d’intelligence. Cela leur avait suffi. Ils savaient que le but de leur voyage à tous deux était l’Île de France, et ils n’en avaient pas demandé davantage.

Au reste, tous deux paraissaient avoir même impatience d’arriver, car tous deux avaient recommandé que, du moment où l’on apercevrait l’île, on les avertît. La recommandation fut inutile pour l’un d’eux, car le jeune homme aux cheveux noirs était sur le pont, appuyé au couronnement de poupe, lorsque le matelot en vigie fit entendre ce cri, toujours si puissant, même parmi les marins : « Terre à l’avant ! »

À ce cri, son compagnon apparut au haut de l’escalier, et