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fixant de ses deux mains sur sa poitrine, et s’élança vers la maison, où l’agonie d’un de ses braves volontaires réclamait sa présence.

Georges demeura seul, mais l’enfant sentait instinctivement que pour être seul, il n’était point isolé : la gloire paternelle veillait sur lui, et l’œil rayonnant d’orgueil, il promena son regard sur la foule qui l’entourait ; ce regard heureux et brillant rencontra alors celui de l’enfant au col brodé, et devint dédaigneux. Celui-ci, de son côté, contemplait envieusement Georges et se demandait sans doute à son tour pourquoi son père, lui aussi, n’avait pas enlevé un drapeau. Cette interrogation l’amena sans doute tout naturellement à se dire que, faute d’un drapeau à soi, il fallait accaparer celui d’autrui. Car, s’étant approché cavalièrement de Georges qui, bien qu’il vît son intention hostile, ne fit pas un pas en arrière :

— Donne-moi ça, lui dit-il.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Georges.

— Le drapeau, reprit Henri…

— Ce drapeau n’est pas à toi. Ce drapeau est à mon père.

— Qu’est-ce que ça me fait à moi ? je le veux !

— Tu ne l’auras pas.

L’enfant au col brodé avança alors la main pour saisir la lance de l’étendard, démonstration à laquelle Georges ne répondit qu’en se pinçant les lèvres, en devenant plus pâle que d’habitude et en faisant un pas en arrière. Mais ce pas de retraite ne fit qu’encourager Henri, qui, comme tous les enfants gâtés, croyait qu’il n’y avait qu’à désirer pour avoir. Il fit deux pas en avant, et cette fois prit si bien ses mesures, qu’il empoigna le bâton, en criant de toute la force de sa petite voix colère :

— Je te dis que je veux ça.

— Et moi je te dis que tu ne l’auras pas, répéta Georges en le repoussant d’une main, tandis que de l’autre il continuait de serrer le drapeau conquis sur sa poitrine.

— Ah ! mauvais mulâtre, tu oses me toucher ! s’écria Henri. Eh bien ! tu vas voir.

Et tirant alors son petit sabre du fourreau, avant que Georges eût eu le temps de se mettre en défense, il lui en donna de toute sa force un coup sur le haut du front. Le sang