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Tous deux se reconnaissent et s’efforcent de se joindre ; mais la mêlée est telle qu’ils sont entraînés comme par un tourbillon. Les deux frères sont au plus pressés des rangs anglais, frappants et frappés, luttant de sang-froid, de force et de courage ; deux matelots anglais lèvent la hache sur la tête de Georges, tous deux tombent frappés par des balles invisibles. Deux soldats de marine pressent Georges de leurs baïonnettes, tous deux tombent à ses pieds : c’est Pierre Munier qui veille sur ses fils, c’est la fidèle carabine qui fait son œuvre.

Tout à coup un cri terrible, qui domine le bruit des grenades, le pétillement de la mousqueterie, les clameurs des blessés, les plaintes des mourants, s’élance de la batterie, glaçant tout le monde de terreur :

— Au feu !

Au même instant une fumée épaisse sort par l’écoutille de l’arrière et par les sabords. Un des obus a éclaté dans la chambre du capitaine et a mis le feu à la frégate.

À ce cri terrible, inattendu, magique, tout s’arrête ; puis, à son tour, la voix de Jacques, puissante, impérieuse, suprême, se fait entendre :

— Chacun à bord de la Calypso !

Aussitôt, avec le même empressement qu’ils ont mis à descendre sur le pont de la frégate, les pirates l’abandonnent, et se hissent les uns sur les autres, s’accrochant à toutes les manœuvres, sautant d’un bord à l’autre, tandis que Jacques et Georges, avec quelques-uns des plus déterminés, soutiennent la retraite.

Alors c’est le gouverneur qui s’élance à son tour, pressant les pirates, les fusillant à bout portant, espérant monter en même temps qu’eux sur la Calypso ; mais alors les premiers arrivés s’élancent dans les hunes de la corvette ; les grenades et les balles pleuvent de nouveau. Des cordages sont lancés à ceux qui restent encore sur la frégate, chacun saisit une amarre. Jacques remonte à bord, Georges reste le dernier. Le gouverneur vient à lui, il l’attend. Tout à coup une main de fer le saisit et l’enlève. C’est Pierre Munier qui veille sur son fils, et qui, pour la troisième fois de la journée, le sauve d’une mort presque certaine.