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vette, obéissant à l’action simultanée de son gouvernail et de ses voiles d’arrière, se sauve rapidement sur tribord, conservant assez d’aire pour couper la route à la frégate, et s’arrête sur place grâce à la précaution qu’a eue son capitaine d’appuyer ses bras de tribord devant. Au moment même la frégate privée de la faculté de manœuvrer par les avaries de ses voiles d’arrière, et ne pouvant doubler la corvette au vent, s’avança fendant à la fois la fumée et la mer, et vint, contrairement à sa volonté et avec un choc terrible, engager son beaupré dans les grands haubans de son ennemie.

En ce moment on entendit retentir une dernière fois la voix de Jacques.

— Feu ! cria-t-il ; enfilez-les de bout en bout ; rasez-les comme un ponton.

Quatorze pièces de canon, dont six chargées à mitraille et huit à obus, obéirent à ce commandement, balayant le pont, sur lequel elles couchent trente ou quarante hommes, brisant par le pied son mât d’artimon. Au même instant, du haut des trois hunes, une pluie de grenades tombant sur les passavants nettoie l’avant de la frégate, tandis que celle-ci ne peut répondre à cette nuée de feu et à cette grêle de balles que par sa hune de misaine, embarrassée de son petit hunier.

En ce moment, par les vergues de la corvette, par le beaupré de la frégate, par les haubans, par les agrès, par les cordages, les pirates s’élancent, se précipitent, se pressent. Vainement les soldats de marine dirigent sur eux un feu terrible de mousqueterie, à ceux qui tombent d’autres succèdent : les blessés se traînent en poussant devant eux les grenades et en agitant leurs armes ; Georges et Jacques se croient déjà vainqueurs, quand au cri : Tout le monde sur le pont ! les matelots anglais occupés dans la batterie sortent à leur tour par les écoutilles, et montent par les sabords. Ce renfort rassure les soldats de marine, qui commencent à plier. Le commandant du bâtiment se jette à leur tête. Jacques ne s’est pas trompé. C’est bien l’ancien capitaine du Leycester qui a voulu reprendre sa revanche. Georges et lord Williams Murrey se retrouvent en face l’un de l’autre, mais au milieu du sang et du carnage, mais le sabre à la main, mais ennemis mortels.