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— Qu’y a-t-il donc ? demanda Sara.

— Rien, répondit Georges ; il paraît que nous sommes poursuivis, voilà tout.

— Ô mon Dieu ! s’écria Sara, me l’aurez-vous rendu si miraculeusement pour me le reprendre ! C’est impossible !

Pendant ce temps, Jacques avait pris sa lunette et était monté dans la grande hune.

Il regarda quelque temps avec la plus grande attention vers le point indiqué par la vigie ; puis, repoussant les uns dans les autres tous les tubes de l’instrument avec la paume de la main, il descendit en sifflotant et revint prendre sa place près de son père.

— Eh bien ? demanda le vieillard.

— Eh bien ! dit Jacques, je ne m’étais pas trompé, nos bons amis les Anglais sont en chasse ; heureusement, ajouta-t-il en regardant l’horloge, heureusement que dans deux heures il fera nuit serrée, et que la lune ne se lève qu’à minuit et demi.

— Alors tu crois que nous parviendrons à leur échapper ?

— Nous ferons ce que nous pourrons pour cela, mon père, soyez tranquille. Oh ! je ne suis pas fier, moi ; je n’aime pas les affaires où il n’y a que des coups à gagner ; et dans celle-là le diable m’emporte si je reviens sur mes préventions.

— Comment, Jacques, s’écria Georges, tu fuirais devant l’ennemi, toi l’intrépide, toi l’invaincu !

— Mon cher, je fuirai toujours devant le diable, quand il aura les poches vides et deux pouces de cornes de plus que moi. Oh ! quand il aura les poches pleines, c’est différent, je risquerai quelque chose.

— Mais sais-tu qu’on dira que tu as eu peur ?

— Et je répondrai que c’est pardieu vrai. D’ailleurs à quoi bon nous frotter à ces gaillards-là ; s’ils nous prennent, notre procès est fait, et ils nous pendront aux vergues depuis le premier jusqu’au dernier ; si, au contraire, nous les prenons, nous sommes forcés de les couler bas, eux et leur bâtiment.

— Comment ! les couler bas ?

— Sans doute ; qu’est-ce que tu veux que nous en fassions ?