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— Eh bien ! monsieur Pierre Munier, lui dit-il, n’avez-vous point entendu et faudra-t-il vous répéter une seconde fois que ce n’est point ici votre place, et qu’on ne veut pas de vous ici ?

En abaissant sa main forte et robuste sur le gros homme qui lui parlait ainsi, Pierre Munier l’eût écrasé du coup ; mais, au lieu de cela, il ne répondit rien, leva la tête d’un air effaré, et, rencontrant les regards de son interlocuteur, il détourna les siens avec embarras, ce qui augmenta la colère du gros homme en augmentant sa fierté.

— Voyons ! que faites-vous là ? dit-il en le repoussant du plat de la main.

— Monsieur de Malmédie, répondit Pierre Munier, j’avais espéré que dans un jour comme celui-ci, la différence des couleurs s’effacerait devant le danger général.

— Vous avez espéré, dit le gros homme en haussant les épaules, et en ricanant avec bruit, vous avez espéré, et qui vous a donné cet espoir, s’il vous plaît ?

— Le désir que j’ai de me faire tuer, s’il le faut, pour sauver notre île.

— Notre île ! murmura le chef de bataillon ; notre île ! parce que ces gens-là ont des plantations comme nous, ils se figurent que l’île est à eux.

— L’île n’est pas plus à nous qu’à vous, messieurs les blancs, je le sais bien, répondit Munier d’une voix timide ; mais si nous nous arrêtons à de pareilles choses au moment de combattre, elle ne sera bientôt plus ni à vous, ni à nous.

— Assez ! dit le chef de bataillon en frappant du pied, pour imposer à la fois silence au raisonneur du geste et de la voix, assez ; êtes-vous porté sur les contrôles de la garde nationale ?

— Non, monsieur, et vous le savez bien, répondit Munier, puisque lorsque je me suis présenté, vous m’avez refusé.

— Eh bien ! alors, que demandez-vous ?

— Je demandais à vous suivre comme volontaire.

— Impossible, dit le gros homme.

— Et pourquoi cela impossible ? Ah ! si vous le vouliez bien, M. de Malmédie.

— Impossible, répéta le chef de bataillon en se redres-