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arrachant le javelot mortel de sa poitrine, mais de son dernier regard voyant fuir l’ennemi.

Ainsi, par la seule puissance de sa volonté, par la seule influence de sa valeur personnelle, lui, mulâtre, s’était fait aimer d’une femme blanche, et sans qu’il eût fait un pas vers elle, sans qu’il eût essayé d’influencer sa détermination par un mot, par une lettre, par un signe, cette femme était venue l’attendre sur le chemin de l’échafaud, et à la face de tous, ce qui ne s’était jamais vu peut-être dans la colonie, elle l’avait choisi pour époux.

Maintenant Georges pouvait mourir, Georges était récompensé de son long combat ; il avait lutté corps à corps avec le préjugé, et, tout en frappant Georges mortellement, le préjugé avait été tué dans sa lutte.

Aussi, toutes ces pensées rayonnaient-elles au front de Georges tandis qu’il entraînait Sara. Ce n’était plus le condamné prêt à monter sur l’échafaud, c’était le martyr s’élançant au ciel.

Une vingtaine de soldats formaient la haie dans l’église ; quatre soldats gardaient le chœur ; Georges passa au milieu d’eux sans les voir, et vint s’agenouiller avec Sara devant l’autel.

Le prêtre commença la messe nuptiale, mais Georges n’écoutait point les paroles du prêtre ; Georges tenait la main de Sara, et, de temps en temps, il se retournait vers la foule et jetait sur elle un regard de souverain mépris.

Puis il revenait à Sara, pâle et mourante, à Sara, dont il sentait frissonner la main dans la sienne, et il l’enveloppait tout entière d’un regard plein de reconnaissance et d’amour, tout en étouffant un soupir, car il songeait, lui qui allait mourir, à ce que serait une vie tout entière passée avec une pareille femme.

C’eût été le ciel ! — mais le ciel n’est pas fait pour les vivants.

Cependant la messe s’avançait, lorsque Georges, en se retournant, aperçut Miko-Miko qui faisait tout ce qu’il pouvait, non point par ses paroles, mais par ses gestes, pour fléchir les soldats qui gardaient l’entrée du chœur, et pour arriver jusqu’à Georges. C’était un dernier dévouement qui venait