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ment, il se réveilla comme d’un sommeil agité par de terribles rêves, et, en ouvrant les yeux, il reconnut qu’il était dans une prison.

Le chirurgien-major du régiment en garnison au Port-Louis était près de lui.

Cependant, en rappelant tous ses souvenirs, Georges parvint à retrouver par grandes masses les événements qui s’étaient passés, comme on entrevoit dans le brouillard des lacs, des montagnes, des forêts ; tout lui était bien présent jusqu’au moment où il avait été blessé. Son entrée à Moka, son départ avec son père, n’étaient pas non plus tout à fait sortis de sa mémoire ; mais, à partir de l’arrivée dans les grands bois, tout était vague, indistinct, pareil à un rêve.

Seulement la réalité incontestable, positive et fatale, était qu’il se trouvait aux mains de ses ennemis.

Georges était trop dédaigneux pour faire aucune question, trop hautain pour demander aucun service. Il ne put donc rien savoir de ce qui s’était passé ; — cependant il avait au fond de son cœur de terribles préoccupations :

Son père était-il sauvé ?

Sara l’aimait-elle toujours ?

Ces deux pensées remplissaient tout son être : quand l’une s’éloignait, c’était pour faire place à l’autre ; c’étaient deux marées incessantes qui montaient tour à tour battre son cœur ; c’était un flux et un reflux éternels.

Mais rien n’apparaissait à l’extérieur de cette tempête de l’âme. Le visage de Georges restait pâle, froid et calme comme celui d’une statue de marbre, et cela non seulement en face de ceux qui visitaient sa prison, mais encore en face de lui-même.

Lorsque le médecin eut reconnu que le blessé était assez fort pour soutenir un interrogatoire, il en prévint l’autorité, et le lendemain le juge d’instruction, accompagné d’un greffier, se présenta devant Georges. — Georges ne pouvait quitter le lit encore, mais il n’en fit pas moins les honneurs de sa chambre aux deux magistrats, avec une patience pleine de dignité ; et, se soulevant sur son coude, il déclara qu’il était prêt à répondre à toutes les questions qui lui seraient adressées.