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prise Pierre Munier ; — la ruse de Laïza avait réussi, les chasseurs s’étaient trompés de piste, ils suivaient le père et abandonnaient le fils.

La situation dont on venait de sortir était d’autant plus grave que, pendant cette halte d’un instant, les premiers rayons du jour avaient commencé à paraitre, et que la mystérieuse obscurité de la forêt commençait à s’éclaircir. Certes, si Georges eût été sain et sauf, agile et fort, comme il l’était, l’embarras eût été moindre, car, ruse, courage, adresse, tout se fût présenté en égale proportion, entre ceux qui étaient poursuivis et ceux qui poursuivaient ; mais la blessure de Georges rendait la partie inégale, et Laïza ne se dissimulait pas que la situation était des plus critiques.

Une crainte surtout le préoccupait : c’est que les Anglais, comme la chose était probable, n’eussent pris pour auxiliaires des esclaves dressés à la chasse des nègres marrons, et ne leur eussent fait quelque promesse comme celle de la liberté, par exemple, si Georges tombait entre leurs mains. Alors il perdait une partie de ses avantages d’homme de la nature en face de ces autres hommes fils de la nature comme lui, et pour qui, comme pour lui, la solitude n’avait pas de secrets et la nuit pas de mystères.

Aussi pensa-t-il qu’il n’y avait pas un instant à perdre, et aussitôt ses incertitudes fixées sur la direction qu’avaient prise ceux qui les poursuivaient, il se remit en marche, s’avançant toujours vers l’est.

La forêt avait un aspect étrange, et tous les animaux paraissaient partager la préoccupation de l’homme ; la fusillade, qui avait retenti toute la nuit, avait réveillé les oiseaux dans les branches, les sangliers dans leurs bouges, les daims dans les halliers ; — tout était sur pied, — tout parlait d’effroi, et l’on eût dit tous les êtres animés atteints d’une espèce de vertige. On marcha ainsi deux heures.

Au bout de deux heures il fallut faire halte : les nègres s’étaient battus toute la nuit, et n’avaient pas mangé depuis la veille à quatre heures. Laïza s’arrêta sous les ruines d’un ajoupa qui, sans aucun doute, avait servi cette nuit même de retraite à des nègres marrons, car, en remuant un monceau de cendres, qui paraissait le résultat d’un assez long séjour, on