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Pierre Munier et Laïza se regardèrent ; cette fois, il était évident que la lutte allait devenir terrible.

— Quelle est votre dernière ressource ? demanda Laïza.

— La caverne est minée, dit le vieillard.

— En ce cas, nous avons encore quelque chance de salut, mais au moment décisif faites alors ce que je vous dirai, ou nous sommes tous perdus, car il n’y a pas de retraite possible avec un blessé.

— Eh bien ! je me ferai tuer près de lui ! dit le vieillard.

— Mieux vaut vous sauver tous les deux.

— Ensemble ?

— Ensemble ou séparément, peu importe.

— Je ne quitterai pas mon fils, Laïza, je t’en préviens.

— Vous le quitterez, si c’est son seul moyen de salut.

— Que veux-tu dire ?

— Plus tard je m’expliquerai.

Puis se retournant vers les nègres :

— Allons ! enfants ! dit-il, voilà le moment suprême arrivé. Feu sur les habits rouges et ne perdez pas un coup ; dans une heure, la poudre et les balles seront rares.

Au même instant la fusillade éclata. Les nègres, en général, sont d’excellents tireurs ; aussi exécutèrent-ils à la lettre la recommandation de Laïza, et les rangs des Anglais commencèrent-ils à s’éclaircir ; mais, à chaque décharge, les rangs se resserraient avec une discipline admirable, et la colonne, retardée par la difficulté du passage, continuait de s’avancer dans le souterrain. Au reste, pas un coup de fusil n’était tiré de la part des Anglais ; ils paraissaient décidés cette fois à enlever les retranchements à la baïonnette.

La situation, grave pour tous, l’était doublement pour Georges, grâce à l’impuissance à laquelle il était condamné. Il s’était d’abord soulevé sur son coude, puis il s’était mis sur ses genoux ; enfin il était parvenu à se dresser sur ses pieds ; mais, parvenu à ce point, sa faiblesse était si grande, qu’il lui semblait que la terre manquait sous lui, et qu’il était forcé de se cramponner de ses mains aux branches qui l’entouraient. Tout en reconnaissant le courage de quelques hommes dévoués qui accompagnaient sa fortune jusqu’au bout, il ne pouvait s’empêcher d’admirer ce courage froid et impassible