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truaient et les broussailles qui voilaient les pierres : il résultait donc du soin avec lequel elle était cachée à tous les yeux que les colons armés pour leur propre compte, ou les troupes anglaises qui, pour le compte du gouvernement, donnaient la chasse aux nègres marrons, étaient passés cent fois sans la remarquer devant cette ouverture connue des seuls esclaves fugitifs.

Mais une fois de l’autre côté du rempart de la baie ou de la caverne, l’aspect du sol changeait entièrement. C’étaient toujours de grands bois, de hautes forêts, de puissants abris, mais au milieu desquels on pouvait du moins se frayer une route. Au reste, aucune des premières nécessités de la vie ne manquait dans ces vastes solitudes ; une cascade qui avait sa source au sommet du piton, tombait majestueusement de soixante pieds de haut, et après s’être brisée en poussière sur les rocs, qu’elle rongeait dans sa chute éternelle, elle coulait quelque temps en paisibles ruisseaux ; puis, s’enfonçant tout à coup dans les entrailles de la terre, elle allait reparaître au delà de l’enceinte ; les cerfs, les sangliers, les daims, les singes et les tanrecs abondaient ; enfin, aux endroits où, à travers le dôme immense de feuillage, glissaient quelques rayons de soleil, ces rayons de soleil allaient éclairer des pamplemousses chargés d’oranges, ou des vacoas chargés de ces choux-palmistes dont la queue est si frêle, que du jour où le fruit est mûr il tombe à la plus légère secousse ou au moindre vent.

Si les fugitifs parvenaient à cacher leur retraite, ils pouvaient donc espérer y vivre sans manquer de rien jusqu’au moment où Georges serait guéri, et où cette guérison amènerait une résolution quelconque. Au reste, quelle que fût la résolution du jeune homme, les malheureux esclaves dont Georges avait fait ses compagnons étaient décidés à s’attacher à sa fortune jusqu’au bout.

Mais tout blessé qu’était Georges, il avait gardé son sang-froid ordinaire et il n’avait pas examiné la retraite à laquelle il venait demander un abri, sans calculer tout le parti qu’on pourrait tirer d’une pareille position pour la défendre. Une fois de l’autre côté de la caverne, il avait donc fait arrêter le brancard, et, appelant Laïza d’un signe de la main, il lui