Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! oui ! oui, s’écrièrent d’une seule voix tous les nègres.

— M’avez-vous dit cent fois que vous m’étiez dévoués non pas comme des esclaves, mais comme des enfants ?

— Oui, oui !

— Eh bien ! c’est à cette heure qu’il s’agit de me prouver votre dévouement.

— Ordonne, maître, ordonne, dirent tous les nègres.

— Entrez, entrez tous. — La chambre se remplit de noirs. — Tenez, continua le vieillard, voilà mon fils qui a voulu vous sauver, vous faire libres, vous faire hommes ; voilà sa récompense. Et maintenant ce n’est pas le tout, ils veulent venir me le prendre, blessé, sanglant, à l’agonie ; voulez-vous le défendre, voulez-vous le sauver, voulez-vous mourir pour lui et avec lui ?

— Oh ! oui ! oui, crièrent toutes les voix.

— Aux grands bois alors, aux grands bois ! dit le vieillard.

— Aux grands bois ! crièrent tous les nègres.

Alors on rapprocha le brancard de feuillage du canapé où était couché Georges ; on y déposa le blessé, quatre nègres en saisirent les quatre portants. Georges sortit de la maison accompagné de Laïza, et prit la tête du cortège ; puis tous les nègres le suivirent, puis enfin Pierre Munier sortit le dernier, laissant l’habitation ouverte, abandonnée et veuve de toute créature humaine.

Le cortège, qui se composait de deux cents nègres à peu près, suivit quelque temps le chemin qui mène du Port-Louis au Grand-Port ; puis, après une demi-heure de marche à peu près, il prit à droite, s’avançant vers la base du piton du milieu, afin de joindre la source de la rivière des Créoles.

Avant de s’engager derrière la montagne, Pierre Munier, qui avait continué de faire l’arrière-garde, s’arrêta un instant, gravit un monticule et jeta un dernier regard sur cette belle habitation qu’il abandonnait. Il embrassa dans un coup d’œil ces riches plaines de cannes, de manioc, de maïs, ces magnifiques bosquets de pamplemousses, de jamboses et de takamakas, ce splendide horizon de montagnes qui fermait son immense propriété comme une muraille gigantesque. Il