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Pierre Munier, pâle, sans voix, la sueur au front, resta les yeux fixés sur la porte sans faire un pas vers elle, mais comme un homme qui attend le malheur et qui sait que c’est par là qu’il va entrer.

Au bout d’un instant on entendit le bruit des pas d’un assez grand nombre de personnes ; ces passe rapprochèrent de l’habitation, mais lents et mesurés. Il sembla au pauvre père que ces pas étaient ceux d’hommes qui suivaient un convoi.

Bientôt la première chambre sembla se remplir de monde ; seulement cette foule, quelle qu’elle fût, était muette. Cependant, au milieu du silence, le vieillard crut entendre une plainte, et il lui sembla que dans cette plainte il reconnaissait la voix de son fils.

— Georges ! s’écria-t-il, Georges, au nom du ciel, est-ce toi ? réponds, parle, viens !

— Me voilà, mon père ! dit une voix faible, mais cependant calme, me voilà !

Au même instant la porte s’ouvrit et Georges parut, mais s’appuyant contre la porte, et si pâle que Pierre Munier crut un instant que c’était l’ombre de son fils qu’il avait évoquée et qui lui apparaissait ; de sorte qu’au lieu d’aller à Georges, le vieillard fit un pas en arrière.

— Au nom du ciel, murmura-t-il, qu’as-tu et que t’est-il arrivé ?

— Une blessure grave, mais tranquillisez-vous, mon père, qui n’est pas mortelle, puisque, — vous le voyez, — je marche et me tiens debout ; mais je ne puis pas me tenir debout longtemps. Puis il ajouta tout bas : — À moi, Laïza, les forces me manquent.

Et il se laissa tomber dans les bras du nègre. Pierre Munier s’élança vers son fils, mais Georges était déjà évanoui.

En effet, avec cette force de volonté qui était devenue le signe distinctif du caractère de Georges, il avait voulu, tout faible et presque mourant qu’il était, se montrer debout à son père, et cette fois ce n’était pas par un de ces sentiments d’orgueil qu’on retrouvait si souvent en lui, mais parce que, connaissant l’amour profond que lui portait le vieillard, il tremblait qu’en le voyant couché, le coup qu’il recevrait de cette