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Lorsqu’ils furent à vingt pas, le feu du second rang suivit le feu du premier rang et fit parmi les révoltés un ravage plus grand encore. Mais presque aussitôt les deux troupes se joignirent, et alors la lutte corps à corps commença.

Ce fut une affreuse mêlée : on sait quelles troupes sont les Anglais, et comment ils meurent là où ils ont été placés. Mais d’un autre côté ils avaient affaire à des hommes désespérés, qui savaient que, prisonniers, une mort ignominieuse les attendait, et qui par conséquent voulaient mourir libres.

Georges et Laïza faisaient des miracles d’audace et de courage, Laïza avec son fusil, qu’il avait pris par le canon, et dont il se servait comme d’un fléau ; Georges, avec le barreau qu’il avait arraché à sa fenêtre et dont, de son côté, il se servait comme d’une masse d’armes ; leurs hommes, au reste, les secondaient à merveille, se ruant sur les Anglais à coups de baïonnette, tandis que les blessés se traînaient entre les combattants, et venaient en rampant couper à coups de couteau les jarrets de leurs ennemis.

La lutte dura ainsi pendant dix minutes, furieuse, acharnée, mortelle, sans que nul pût dire de quel côté serait l’avantage ; mais cependant le désespoir l’emporta sur la discipline, les rangs anglais s’ouvrirent comme une digue qui se rompt, et laissèrent passer le torrent qui se répandit aussitôt hors de la ville. Georges et Laïza, qui étaient à la tête de l’attaque, restèrent en arrière pour soutenir la retraite. Enfin on arriva au pied de la Petite-Montagne ; c’était un endroit trop escarpé et trop couvert pour que les Anglais osassent s’y aventurer. Aussi firent-ils une halte ; de leur côté, les révoltés reprirent haleine. Une vingtaine de noirs se rallièrent autour des deux chefs, tandis que les autres s’éparpillaient de tout côté ; il ne s’agissait plus de combattre, mais de se mettre en sûreté dans les grands bois. Georges indiqua le quartier de Moka, où était l’habitation de son père, comme le rendez-vous général de ceux qui voudraient se rallier à lui, annonçant qu’il en partirait le lendemain au point du jour pour gagner le quartier du Grand-Port où se trouvent, comme nous l’avons dit, les plus épaisses forêts.

Georges donnait aux misérables débris de cette troupe avec laquelle il avait un instant espéré conquérir l’île ses der-