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Et Georges allait se mêler à cette lutte, car le barreau ne tenait plus qu’à un fil.

Il écouta donc, l’oreille tendue et le cœur palpitant ; le bruit s’approchait de plus en plus, et cette lueur qu’il avait déjà remarquée allait s’agrandissant. Le feu était-il au Port-Louis ? c’était impossible, car nul cri de détresse ne se faisait entendre.

De plus, quoiqu’on entendît toujours cette rumeur, qui, chose étrange, semblait plutôt une rumeur joyeuse qu’un bruit menaçant, aucun bruit d’armes ne retentissait, et la rue où était située la Police était restée solitaire.

Georges attendit un quart d’heure encore, espérant toujours que quelques coups de fusil retentiraient et termineraient son incertitude, en lui annonçant qu’on en était aux mains ; mais cette même rumeur étrange bruissait toujours sans que le bruit tant attendu s’y mêlât.

Le prisonnier pensa alors que l’important pour lui était d’abord de fuir. Avec un dernier ébranlement, le barreau céda. Georges attacha fortement la corde à sa base, jeta le barreau devant lui pour s’en faire une arme, passa par l’ouverture, se laissa glisser le long de la corde, toucha la terre sans accident, ramassa le barreau, et s’élança dans une des rues transversales.

À mesure que Georges s’avançait vers la rue de Paris, qui traverse tout le quartier septentrional de la ville, il voyait s’augmenter cette lueur, il entendait redoubler ce bruit ; enfin, il arriva à l’angle d’une rue ardemment éclairée, et tout lui fut expliqué.

Toutes les rues qui donnaient sur le camp Malabar, c’est-à-dire sur le point par lequel les révoltés devaient pénétrer dans la ville, étaient illuminées comme pour un jour de fête, et, de place en place, en face des maisons principales, avaient été placés des tonneaux d’arack, d’eau-de-vie et de rhum défoncés, comme pour une distribution gratis.

Les nègres s’étaient rués comme un torrent sur le Port-Louis, poussant des clameurs de rage et de vengeance. Mais, en arrivant, ils avaient trouvé les rues illuminées ; mais ils avaient vu ces tonneaux tentateurs. Un instant, les ordres de Laïza et l’idée que toutes ces boissons étaient empoisonnées les avaient