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— Vous oubliez, milord, que ces hommes dont vous parlez avec tant de mépris sont mes frères à moi ; que, méprisés par les blancs comme leurs inférieurs, ils m’ont reconnu, eux, pour leur chef ; vous oubliez que, au moment où ces hommes m’ont fait abandon de leur vie, je leur ai, moi, voué la mienne.

— Ainsi vous refusez ?

— Je refuse.

— Malgré mes prières ?

— Excusez-moi, milord, mais je ne puis les écouter.

— Malgré votre amour pour Sara, et malgré l’amour de Sara pour vous ?

— Malgré toutes choses.

— Réfléchissez encore.

— C’est inutile, mes réflexions sont faites.

— C’est bien. — Maintenant, monsieur, dit lord Murrey, une dernière question.

— Dites.

— Si j’étais à votre place et que vous fussiez à la mienne, que feriez-vous ?

— Comment cela ?

— Oui ! — si j’étais Georges Munier, chef d’une révolte, et vous lord Williams Murrey, gouverneur de l’Île de France, — si vous me teniez dans vos mains comme je vous tiens dans les miennes, — dites, je vous le demande une seconde fois, que feriez-vous ?

— Ce que je ferais, milord ? je laisserais sortir d’ici celui qui y est venu sur votre parole, croyant être appelé à un rendez-vous et non être attiré dans un guet-apens ; puis, le soir, si j’avais foi dans la justice de ma cause, j’en appellerais à Dieu, afin que Dieu décidât entre nous.

— Eh bien ! vous auriez tort, Georges, car du moment où j’aurais tiré l’épée, vous ne pourriez plus me sauver ; du moment où j’aurais allumé la révolte il faudrait éteindre la révolte dans mon sang. — Non, Georges, non ! je ne veux pas qu’un homme comme vous meure sur un échafaud, entendez-vous bien ; meure comme un rebelle vulgaire, dont les intentions seront calomniées, dont le nom sera flétri, et pour vous sauver d’un pareil malheur, pour vous arracher à votre des-