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En arrivant au pied de la montagne de la Découverte, Georges commença à rencontrer des personnes de la ville ; il interrogea des yeux avec soin le visage de ces promeneurs, mais il n’aperçut sur les différentes physionomies que le hasard amenait sur son chemin aucun symptôme qui pût lui faire croire que le projet de révolte qui devait être mis par lui à exécution le soir eût le moins du monde transpiré. Il continua sa route, traversa le camp des Noirs et entra dans la ville.

La ville était calme ; chacun paraissait occupé de ses affaires personnelles ; aucune préoccupation générale ne planait sur la population. Les bâtiments se balançaient calmes et abrités dans le port. La Pointe-aux-Blagueurs était garnie de ses flâneurs habituels ; un navire américain arrivant de Calcutta jetait l’ancre devant le Chien-de-Plomb.

La présence de Georges parut cependant faire une certaine sensation ; mais il était évident que cette sensation se rattachait à l’affaire des courses, et à l’insulte inouïe faite par un mulâtre à un blanc. Plusieurs groupes cessèrent même évidemment à l’aspect du jeune homme, de causer des affaires en ce moment sur le tapis pour suivre Georges du regard, et échanger tout bas quelques paroles d’étonnement sur cette audace qu’il avait de reparaître dans, la ville ; mais Georges répondit à leurs regards par un regard si hautain, à leurs chuchotements par un sourire si dédaigneux, que les chuchotements et les yeux se baissaient, ne pouvant supporter le rayon d’amère supériorité qui tombait de ses yeux.

D’ailleurs la crosse ciselée d’une paire de pistolets à deux coups sortait de chacune de ses fontes.

Ce furent les soldats et les officiers que Georges rencontra sur sa route qui furent surtout l’objet de son attention. Mais soldats et officiers avaient cette physionomie tranquillement ennuyée de gens transportés d’un monde à un autre et condamnés à un exil de quatre mille lieues. Certes, si les uns et les autres eussent su que Georges leur ménageait de l’occupation pour la nuit, ils eussent eu l’air, sinon plus joyeux, du moins plus affairés.

Toutes les apparences rassuraient donc Georges.

Il arriva ainsi à la porte du Gouvernement, jeta la bride de son cheval aux mains d’Ali, et lui recommanda de ne point