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où, après avoir fait des prodiges de valeur, après avoir délivré les volontaires, après avoir conquis un drapeau, ce drapeau vous fut arraché par monsieur de Malmédie ; ce jour-là vous aviez été devant l’ennemi, grand, noble, sublime, ce que vous serez toujours enfin devant le danger ; ce jour-là, je jurai qu’un jour hommes et choses seraient remis à leur place ; ce jour est arrivé, je ne reculerai pas devant mon serment. Dieu jugera entre les esclaves et les maîtres, entre les faibles et les forts, entre les martyrs et les bourreaux ; voilà tout.

Puis, comme Pierre Munier, sans force, sans puissance, sans objection contre une pareille volonté, s’affaissait sur lui-même, comme si le poids du monde eût pesé sur lui, Georges ordonna à Ali de seller les chevaux, et après avoir achevé tranquillement son déjeuner, en fixant de temps en temps un regard triste sur son père, il se leva pour sortir.

Pierre Munier tressaillit et se dressa tout debout les bras tendus vers son fils.

Georges s’avança vers lui, prit sa tête entre ses deux mains, et avec une expression d’amour filial qu’il n’avait jamais laissé paraître, il rapprocha cette tête vénérable de lui, et baisa rapidement cinq ou six fois ses cheveux blancs.

— Mon fils ! mon fils ! s’écria Pierre Munier.

— Mon père, dit Georges, vous aurez une vieillesse respectée ou j’aurai une tombe sanglante. Adieu !

Georges s’élança hors de la chambre, et le vieillard retomba sur sa chaise en poussant un profond gémissement.


XXI.

LE REFUS.


À deux lieues à peu près de l’habitation de son père, Georges rejoignit Miko-Miko, qui revenait au Port-Louis ; il arrêta son cheval, fit signe au Chinois de s’approcher de lui, lui dit à l’oreille quelques mots, auxquels Miko-Miko répondit par un signe d’intelligence, et il continua son chemin.