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ces événements imprévus, c’était le pauvre père. Le désir de sa vie depuis quatorze ans avait été de revoir ses enfants ; ce désir venait d’être accompli, il les avait revus tous deux, mais leur présence n’avait fait que changer l’atonie habituelle de sa vie en une inquiétude sans cesse renaissante : l’un, capitaine négrier, en lutte éternelle avec les éléments et les lois ; l’autre, conspirateur idéologue, en lutte avec les préjugés et les hommes ; tous deux luttant contre ce qu’il y a de plus puissant au monde, tous deux pouvant être d’un moment à l’autre brisés par la tempête ; tandis que lui, enchaîné par cette habitude d’obéissance passive, les voyait tous deux marcher au gouffre sans avoir la force de les retenir, et n’ayant pour toute consolation que ces mots qu’il répétait sans cesse : « Au moins je suis sûr d’une chose, c’est de mourir avec eux. »

Au reste, le temps qui devait décider de la destinée de Georges était court : deux jours le séparaient seulement de la catastrophe qui devait faire de lui un autre Toussaint-Louverture ou un nouveau Pétion. Son seul regret pendant ces deux jours était de ne pas pouvoir communiquer avec Sara. Il eût été imprudent à lui d’aller chercher à la ville son messager ordinaire, Miko-Miko. Mais, d’un autre côté, il était rassuré par cette conviction que la jeune fille était sûre de lui comme il était sûr d’elle. Il y a des âmes qui n’ont besoin que de croiser un regard et d’échanger une parole pour comprendre ce qu’elles valent, et qui, de ce moment, se reposent l’une sur l’autre avec la sécurité de la conviction. Puis il souriait à l’idée de cette grande vengeance qu’il allait tirer de la société, et de cette grande réparation que le sort allait lui faire. Il dirait en revoyant Sara : Voilà huit jours que je ne vous ai vue ; mais ces huit jours m’ont suffi comme à un volcan pour changer la face d’une île. Dieu a voulu tout anéantir par un ouragan, et il n’a pas pu. Moi, j’ai voulu faire disparaître dans une tempête hommes, lois, préjugés ; et, plus puissant que Dieu, moi, j’ai réussi.

Il y a dans les dangers politiques et sociaux du genre de celui auquel s’exposait Georges, un enivrement qui éternisera les conspirations et les conspirateurs. Le mobile le plus puissant des actions humaines est sans contredit la satisfac-