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case et un champ, qui risque de perdre sa case et son champ. Voilà l’homme qui est digne d’être notre chef.

— C’est juste, dit Laïza.

— Je ne connais qu’un homme qui réunisse toutes ces conditions, dit Antonio.

— Et moi aussi, dit Laïza.

— Veux-tu dire que c’est toi ? demanda Antonio.

— Non, répondit Laïza.

— Tu conviens donc que c’est moi ?

— Ce n’est pas toi non plus.

— Et qui est-ce donc ? s’écria Antonio.

— Oui ; qui est-ce ? où est-il ? qu’il vienne, qu’il paraisse ! crièrent à la fois les nègres et les Indiens.

Laïza frappa trois fois dans ses mains ; au même instant, on entendit retentir le galop d’un cheval, et, aux premières lueurs du jour naissant, on vit sortir de la forêt un cavalier qui, arrivant à toutes brides, entra jusqu’au cœur du groupe, et là, par un simple mouvement de la main, arrêta son cheval si court que de la secousse il plia sur ses jarrets.

Laïza étendit la main avec un geste de suprême dignité vers le cavalier.

— Votre chef, dit-il, le voilà.

— Georges Munier ! s’écrièrent dix mille voix.

— Oui, Georges Munier, dit Laïza. Vous avez demandé un chef qui puisse opposer la ruse à la ruse, la force à la force, le courage au courage, le voilà ! — Vous avez demandé un chef qui ait vécu avec les blancs et avec les noirs, qui tînt par le sang aux uns et aux autres, le voilà ! — Vous avez demandé un chef qui fût libre, et qui fît le sacrifice de sa liberté ; qui eût une case et un champ, et qui risquât de perdre sa case et son champ ; eh bien ! ce chef, le voilà ! Où en chercherez-vous un autre, où en trouverez-vous un pareil ?

Antonio demeura confondu ; tous les regards se tournèrent vers Georges, et il se fit une grande rumeur dans la multitude.

Georges connaissait les hommes auxquels il avait affaire, et il avait compris qu’il devait avant tout parler aux yeux : il était donc revêtu d’un magnifique burnous tout brodé d’or, et sous son burnous il portait le caftan d’honneur qu’il tenait d’Ibrahim Pacha, et sur lequel brillaient les croix de la Lé-