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— Avez-vous compris ? dit Antonio.

De grands cris retentirent, des hourras et des bravos se firent entendre ; Antonio avait produit avec sa fable non moins d’effet que le consul Meuenius, deux mille deux cents ans auparavant, en avait produit avec la sienne.

Laïza attendit tranquillement que ce moment d’enthousiasme fût passé ; puis, étendant le bras pour commander le silence, il dit ces simples paroles :

— Il y avait une fois une île où les esclaves voulurent être libres ; ils se levèrent tous ensemble et ils le furent. Cette île s’appelait autrefois Saint-Dominique, elle s’appelle à cette heure Haïti.

Faisons comme eux, et nous serons libres comme eux.

De grands cris retentirent de nouveau, et des bravos et des hourras se firent entendre pour la seconde fois. Mais, il faut l’avouer, ce discours était trop simple pour émouvoir la multitude ainsi qu’avait fait celui d’Antonio ; Antonio s’en aperçut, et conçut un espoir.

Il fit signe qu’il voulait parler et l’on se tut.

— Oui, dit-il, oui, Laïza a dit vrai ; j’ai entendu raconter qu’il y a au delà de l’Afrique, bien loin, bien loin du côté où le soleil se couche, une grande île où tous les nègres sont rois. Mais dans mon île à moi comme dans l’île de Laïza, dans l’île des animaux comme dans l’île des hommes, il y eut un chef élu, mais un seul.

— C’est juste, dit Laïza, et Antonio a raison ; tout pouvoir partagé s’affaiblit ; je suis donc de son avis, il faut un chef, mais un seul.

— Et quel sera ce chef ? demanda Antonio.

— C’est à ceux qui sont rassemblés ici de décider, répondit Laïza.

— L’homme qui est digne d’être notre chef, dit Antonio, est celui qui pourra opposer la ruse à la ruse, la force à la force, le courage au courage.

— C’est juste, dit Laïza.

— Celui qui est digne d’être notre chef, continua Antonio, c’est l’homme qui a vécu avec les blancs et avec les noirs, l’homme qui tient par le sang aux uns et aux autres ; l’homme qui, libre, fera le sacrifice de sa liberté ; l’homme qui a une