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panthères et les tigres, de sorte que si courageux que fussent les lions, ils finissaient toujours par être enchaînés ; si c’étaient les tigres qui montraient les dents, les singes faisaient marcher contre eux les éléphants, les lions, les serpents et les panthères, de sorte que si forts que fussent les tigres, ils finissaient toujours par être mis en cage. Si c’étaient les panthères qui bondissaient, les singes faisaient marcher contre elles les éléphants, les lions, les tigres et les serpents, de sorte que si agiles que fussent les panthères, elles finissaient toujours par être domptées ; enfin si c’étaient les serpents qui sifflaient, les singes faisaient marcher contre eux les éléphants, les lions, les tigres et les panthères, et les serpents, si rusés qu’ils fussent, finissaient toujours par être soumis. Il en résultait que les gouvernants, à qui cette ruse avait réussi cent fois, riaient sous cape toutes les fois qu’ils entendaient parler de quelque révolte, et employant aussitôt leur tactique habituelle, étouffaient les révoltés. Cela dura ainsi longtemps, très longtemps.

Mais un jour il arriva qu’un serpent, plus fin que les autres, réfléchit ; c’était un serpent qui savait les quatre règles d’arithmétique, ni plus ni moins que le caissier de M*** ; il calcula que les singes étaient, relativement aux autres animaux, comme un est à huit. Il réunit donc les éléphants, les lions, les tigres, les panthères et les serpents sous le prétexte d’une fête, et leur dit : Combien êtes-vous ?

Les animaux se comptèrent, et répondirent : Nous sommes quatre-vingt mille.

— C’est bien, dit le serpent ; maintenant comptez vos maîtres et dites-moi combien ils sont.

Les animaux comptèrent les singes, et répondirent : Ils sont huit mille.

— Alors vous êtes bien bêtes, dit le serpent, de ne pas exterminer les singes, puisque vous êtes huit contre un.

Les animaux se réunirent et exterminèrent les singes, et ils furent maîtres de l’île, et les plus beaux fruits furent pour eux, les plus beaux champs furent pour eux, les plus belles maisons furent pour eux, sans compter les singes dont ils firent leurs esclaves et les guenons dont ils firent leurs maîtresses.