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tous deux, échangèrent des signes, et, tandis que l’un frappa trois coups dans ses mains, l’autre siffla trois fois.

Alors des profondeurs des bois, des angles des fortifications, des roches qui bordent le torrent, des mangliers qui s’inclinent sur le rivage de la mer, on vit sortir toute une population de nègres et d’Indiens, dont cinq minutes auparavant il eût été impossible de soupçonner la présence ; seulement toute cette population était divisée en deux bandes bien distinctes, une composée rien que d’Indiens, l’autre composée tout entière de nègres.

Les Indiens se rangèrent autour de l’un des deux chefs arrivés les premiers : ce chef était un homme au teint olivâtre parlant l’idiome malaï.

Les nègres se rangèrent autour de l’autre chef, qui était un nègre comme eux, et qui parlait tour à tour l’idiome madécasse et mozambique.

L’un des deux chefs se promenait dans la foule, babillant, grondant, déclamant, gesticulant, type de l’ambitieux de bas étage, de l’intrigant vulgaire : c’était Antonio le Malaï.

L’autre, calme, immobile, presque muet, avare de paroles, sobre de gestes, semblait attirer les regards sans les chercher, véritable image de la force qui contient et du génie qui commande : c’était Laïza, le lion d’Anjouan.

Ces deux hommes, c’étaient les chefs de la révolte ; les dix mille métis qui les entouraient, c’étaient les conspirateurs.

Antonio parla le premier.

— Il y avait une fois, dit-il, une île gouvernée par des singes et habitée par des éléphants, par des lions, par des tigres, par des panthères et par des serpents. Le nombre des gouvernés était dix fois plus considérable que celui des gouvernants ; mais les gouvernants avaient eu le talent, les rusés babouins qu’ils étaient, de désunir les gouvernés, de façon que les éléphants vivaient en haine avec les lions, les tigres avec les panthères, et les serpents avec tous. Il en résultait que lorsque les éléphants levaient la trompe, les singes faisaient marcher contre eux les serpents, les panthères, les tigres et les lions ; et si forts que fussent les éléphants, ils finissaient toujours par être vaincus. Si c’étaient les lions qui rugissaient, les singes faisaient marcher contre eux les éléphants, les serpents, les