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— Oui, pars ; mais ne t’éloigne pas trop, et tu verras quelque chose à quoi tu ne t’attends pas.

— Et que verrai-je ? Une éclipse de lune ?…

— Tu verras s’allumer, de la passe Descorne au morne Brabant, et de Port-Louis à Manebourg, un volcan qui vaudra bien celui de l’Île Bourbon.

— Ah ! ah ! ceci est autre chose ; tu as des idées pyrotechniques, à ce qu’il me paraît. Voyons, explique-moi un peu cela.

— J’ai que dans huit jours, ces blancs qui me menacent et me méprisent, ces blancs qui veulent me fouetter comme un nègre marron, ces blancs seront à mes pieds. Voilà tout.

— Une petite révolte… je comprends, dit Jacques. Ce serait possible, s’il y avait dans l’île seulement deux mille hommes comme mes cent cinquante Lascars. Je dis Lascars par habitude, car, Dieu merci ! il n’y en a pas un qui appartienne à cette misérable race ; ce sont tous de bons Bretons, de braves Américains, de vrais Hollandais, de purs Espagnols, ce qu’il y a de mieux dans les quatre nations. Mais toi, qu’auras-tu pour soutenir ta révolte ?

— Dix mille esclaves qui sont las d’obéir et qui veulent commander à leur tour.

— Des nègres ! peuh !… fit Jacques, avançant dédaigneusement la lèvre inférieure. Écoute, Georges ; moi, je les connais bien, j’en vends ; ça supporte bien la chaleur, ça vit avec une banane, c’est dur au travail, ça a des qualités enfin, je ne veux pas déprécier ma marchandise ; mais cela fait de pauvres soldats, vois-tu. Tiens, pas plus tard qu’aujourd’hui, aux courses, le gouverneur me demandait mon avis sur les nègres.

— Comment cela ?

— Oui, il me disait : Capitaine Van den Broëk, vous qui avez beaucoup voyagé et qui me paraissez un excellent observateur, si vous étiez gouverneur de quelque île, et qu’il y eût une révolte de nègres, que feriez-vous ?

— Et qu’as-tu répondu ?

— Moi, j’ai répondu : Milord, je défoncerais dans les rues