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— Il nous manque un chef, ou plutôt on nous en propose deux ; mais ni l’un ni l’autre de ces deux hommes ne convient à une pareille entreprise.

— Et quels sont-ils ?

— L’un est Antonio le Malaï.

Georges laissa errer sur ses lèvres un sourire de mépris.

— Et l’autre ? demanda-t-il.

— L’autre est moi, répondit Laïza.

Georges regarda en face cet homme qui donnait aux blancs cet exemple étrange de modestie de reconnaître qu’il n’était pas digne du rang auquel il était appelé.

— L’autre est toi ?… reprit le jeune homme.

— Oui, répondit le nègre ; mais il ne faut pas deux chefs pour une pareille entreprise : il en faut un seul.

— Ah ! ah ! fit Georges, qui crut comprendre que Laïza ambitionnait le suprême commandement.

— Il en faut un seul suprême, absolu, et dont la supériorité ne puisse être discutée.

— Mais où trouver cet homme ? demanda Georges.

— Il est trouvé, répondit Laïza en regardant fixement le jeune mulâtre ; seulement acceptera-t-il ?

— Il risque sa tête, dit Georges.

— Et nous, ne risquons-nous rien ? demanda Laïza.

— Mais quelle garantie lui donnerez-vous ?

— La même qu’il nous offrira, un passé de persécution et d’esclavage, un avenir de vengeance et de liberté.

— Et quel plan avez vous conçu ?

— Demain, après la fête du yamsé, quand les blancs, fatigués des plaisirs de la journée, se seront retirés après avoir vu brûler le gouhn, les Lascars resteront seuls sur les bords de la rivière des Lataniers ; alors de tous côtés arriveront Africains, Malais, Madécasses, Malabars, Indiens, tous ceux qui sont entrés dans la conspiration ; enfin là ils éliront un chef, et ce chef les dirigera. Eh bien ! dites un mot, et ce chef ce sera vous.

— Et qui t’a chargé de me faire cette proposition ? demanda Georges.

Laïza sourit dédaigneusement.

— Personne, dit-il.