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tante, Virginie commençait à perdre, tandis que Gester maintenait son avantage, et qu’Antrim, sans effort aucun, commençait à gagner. Arrivé au mille Dreaper, Antrim n’était plus qu’à une longueur en arrière de son rival, et Henri, se sentant gagné, commençait à fouetter Gester. Les vingt-cinq mille spectateurs de cette belle course applaudissaient, faisant flotter leurs mouchoirs, encourageant les concurrents. Alors l’inconnu se pencha sur le cou d’Antrim, prononça quelques mots en arabe, et comme si l’intelligent animal eût pu comprendre ce que lui disait son maître, il redoubla de vitesse. On n’était plus qu’à vingt-cinq pas du but, on était en face de la première tribune, Gester dépassait toujours Antrim d’une tête, lorsque l’inconnu, voyant qu’il n’y avait pas de temps à perdre, enfonça ses deux éperons dans le ventre de son cheval, et, se dressant sur ses étriers, en rejetant le capuchon de son burnous en arrière :

— Monsieur Henri de Malmédie, dit-il à son concurrent, pour deux insultes que vous m’avez faites, je ne vous en rendrai qu’une, mais j’espère qu’elle vaudra bien les vôtres.

Et, levant le bras à ces mots, Georges, car c’était lui, sangla la figure de Henri de Malmédie d’un coup de cravache.

Puis, enfonçant les éperons dans le ventre d’Antrim, il arriva le premier au but de deux longueurs de cheval, mais au lieu de s’y arrêter pour réclamer le prix, il continua sa course et disparut, au milieu de la stupéfaction générale, dans les bois qui entourent le tombeau Malartic.

Georges avait raison ; en échange des deux insultes qui lui avaient été faites par monsieur de Malmédie, à quatorze ans de distance, il venait d’en rendre une seule, mais publique, terrible, sanglante, et qui décidait de tout son avenir, car c’était non-seulement une provocation à un rival, mais une déclaration de guerre à tous les blancs.

Georges se trouvait donc par la marche irrésistible des choses en face de ce préjugé qu’il était venu chercher de si loin, et ils allaient lutter corps à corps comme deux ennemis mortels.