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tage perdu, et tous deux effectivement le regagnaient visiblement, et surtout Télémaque, lorsqu’une nouvelle chute amena encore pour Télémaque une nouvelle chance. Antonio tomba, et si vite que se fût relevé le Malaï, Télémaque se trouva le premier.

La chose était d’autant plus grave que l’on n’était plus qu’à une dizaine de pas du but, aussi Bijou poussa-t-il un véritable rugissement, et par un effort désespéré se rapprocha-t-il de son rival ; mais Télémaque n’était pas homme à se laisser dépasser. Ainsi, continua-t-il de bondir avec une élasticité croissante, si bien que chacun jurait déjà que c’était à lui qu’appartenait le parapluie. Mais l’homme propose et Dieu dispose. Télémaque fit un faux pas, chancela un instant au milieu des cris de la multitude, et tomba ; mais en tombant, fidèle à sa haine, il dirigea sa chute de manière à barrer le chemin à Bijou. Bijou, emporté par sa course, ne put se déranger, heurta Télémaque et roula à son tour sur la poussière.

Alors une même idée leur vint à tous deux en même temps, c’est que plutôt que de laisser triompher un rival, mieux valait que ce fût un tiers qui obtînt le prix. Aussi, au grand étonnement des spectateurs, les deux sacs, au lieu de se relever et de continuer leur course vers le but indiqué, furent-ils à peine sur leurs pieds qu’ils se ruèrent l’un contre l’autre, se gourmant autant que le leur permettait la prison de toile dans laquelle ils étaient renfermés ; employant la tête à la manière des Bretons, et laissant Antonio continuer tranquillement sa course, libre de tout empêchement et débarrassé de tout rival, tandis que se roulant l’un sur l’autre, à défaut des pieds et des mains dont la disposition leur était interdite, ils se mordaient à belles dents.

Pendant ce temps, Antonio triomphant arrivait au but et gagnait le parapluie, qui lui fut remis incontinent et qu’il déploya aussitôt aux applaudissements de tous les assistants plus ou moins nègres, qui enviaient le bonheur de celui qui était assez heureux pour posséder un pareil trésor.

On sépara Bijou et Télémaque, qui pendant ce temps avaient continué de se dévorer à belles dents. Bijou en fut quitte pour une portion du nez, et Télémaque pour une partie de l’oreille.