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Alors il sembla au capitaine Duperré que la Néréide, déjà meurtrie par les trois bordées que la division lui avait lâchées en forçant la passe, ralentissait son feu. L’ordre fut donné aussitôt de diriger toutes les volées sur elle et de ne lui donner aucun relâche. Pendant une heure, on l’écrasa de boulets et de mitraille, croyant à chaque instant qu’elle allait amener son pavillon ; puis comme elle ne l’amenait pas, la grêle de bronze continua, fauchant ses mâts, balayant son pont, trouant sa carène, jusqu’à ce que son dernier canon s’éteignît, pareil à un dernier soupir, et qu’elle demeurât rasée comme un ponton, dans l’immobilité et dans le silence de la mort.

En ce moment et comme le capitaine Duperré donnait un ordre à son lieutenant Roussin, un éclat de mitraille l’atteint à la tête et le renverse dans la batterie ; comprenant qu’il est blessé dangereusement, à mort peut-être, il fait appeler le capitaine Bouvet, lui remet le commandement de la Bellone, lui ordonne de faire sauter les quatre bâtiments plutôt que de les rendre, et cette dernière recommandation faite, lui tend la main et s’évanouit. Personne ne s’aperçoit de cet événement ; Duperré n’a pas quitté la Bellone, puisque Bouvet le remplace.

À dix heures, l’obscurité est si grande, qu’on ne peut plus pointer, et qu’il faut tirer au hasard. À onze heures le feu cesse ; mais comme les spectateurs comprennent que ce n’est qu’une trêve, ils restent à leur poste. En effet, à une heure, la lune paraît, et avec elle, et à sa pâle lumière, le combat recommence.

Pendant ce moment de relâche, la Néréïde a reçu quelques renforts ; cinq ou six de ses pièces ont été remises en batterie ; la frégate qu’on a crue morte n’était qu’à l’agonie, elle reprend ses sens, et elle donne signe de vie en nous attaquant de nouveau.

Alors Bouvet fait passer le lieutenant Roussin à bord du Victor, dont le capitaine est blessé ; Roussin a l’ordre de remettre le bâtiment à flot et de s’en aller, à bout pourtant, écraser la Néréide de toute son artillerie ; son feu ne cessera cette fois que lorsque la frégate sera bien morte.

Roussin suit à la lettre l’ordre donné : le Victor déploie son foc et ses grands huniers, s’ébranle et vient, sans tirer