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plus qu’eux deux. Ce fut alors que la lutte devint véritablement intéressante, et que les paris s’établirent sérieusement.

La course dura encore dix minutes à peu près ; de sorte qu’après avoir fait le tour presque entier du Champ-de-Mars, le cochon en était revenu à ce qu’on appelle en terme de chasse son lancer, hurlant, grognant, se retournant sans que cette héroïque défense parût intimider le moins du monde ses deux ennemis, qui alternaient à sa queue avec une régularité digne des bergers de Virgile. Enfin, un instant, Antonio arrêta le fuyard, et l’on crut Antonio vainqueur. Mais l’animal rassemblant toute sa force, donna une si vigoureuse secousse, que, pour la centième fois, la queue glissa encore entre les mains du Malaï : Miko-Miko, qui était aux aguets, s’en saisit aussitôt, et toutes les chances qu’avaient paru avoir Antonio tournèrent en sa faveur. On le vit alors, digne des espérances qu’avaient mises en lui une partie des spectateurs, se cramponner des deux mains, se raidir, se laisser traîner, en réagissant de toutes ses forces, suivi par le Malaï, qui secouait la tête en signe qu’il regardait la partie comme perdue, mais qui en tout cas se tenait prêt à lui succéder, côtoyant le cochon, laissant pendre ses longs bras, et frottant, presque sans avoir besoin de se baisser, ses mains contre le sable, afin de leur donner plus de ténacité. Malheureusement une si honorable opiniâtreté parut bientôt inutile. Miko-Miko semblait sur le point de remporter le prix. Après avoir traîné pendant l’espace de dix pas le Chinois à sa suite, le cochon paraissait s’avouer vaincu, et venait de s’arrêter, tirant en avant, mais retenu par une force égale qui tirait en arrière ; or comme deux forces égales se neutralisent, le cochon et le Chinois restèrent un instant immobiles, faisant chacun de son côté de visibles et violents efforts, l’un pour continuer d’avancer, l’autre pour demeurer en place, le tout aux grands applaudissements de la multitude. Cela durait ainsi depuis quelques secondes, et tout faisait penser que cela durerait le temps voulu, quand tout à coup on vit les deux antagonistes se séparer violemment. L’animal alla rouler en avant, Miko-Miko alla rouler en arrière, accomplissant tous les deux le même mouvement, avec cette seule différence que l’un roulait sur le ventre et que l’autre roulait sur le dos. Aussitôt,