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est insaisissable, et le cochon échappe sans peine à ses antagonistes : mais à mesure que les pressions successives emportent les premières couches de saindoux, l’animal commence à s’apercevoir que les prétentions de ceux qui espèrent l’arrêter ne sont pas si ridicules qu’il l’avait cru d’abord. Alors ses grognements commencent, entremêlés de cris aigus. De temps en temps même, quand l’attaque est trop vive, il se retourne contre ses ennemis les plus acharnés qui, selon le degré de courage qu’ils ont reçu de la nature, poursuivent leur projet ou y renoncent. Enfin vient le moment où la queue, privée de tout charlatanisme et réduite à sa propre substance, ne glisse plus qu’avec peine, et finit enfin par trahir son propriétaire qui se débat, grogne, crie inutilement, et se voit par acclamation générale adjugé à son vainqueur.

Cette fois, la course suivit sa progression ordinaire. L’infortuné cochon se débarrassa avec la plus grande facilité de ses premiers poursuivants, et quoique gêné par ses liens, commença à gagner du champ sur le commun des martyrs. Mais une douzaine des meilleurs et des plus vigoureux coureurs s’acharnèrent à ses trousses, se succédant après la queue du pauvre animal avec une rapidité qui ne lui donnait pas un instant de relâche, et qui devait lui indiquer que, quoique bravement retardé, l’instant de sa défaite approchait. Enfin, cinq ou six de ses antagonistes essoufflés, haletants, l’abandonnèrent encore. Mais à mesure que le nombre des prétendants diminuait, les chances de ceux qui tenaient bon augmentant, ceux-ci redoublèrent de vigueur et d’adresse, encouragés qu’ils étaient d’ailleurs par les cris des spectateurs.

Au nombre des prétendants et parmi ceux qui paraissaient résolus à pousser l’aventure jusqu’au bout, se trouvaient deux de nos anciennes connaissances. C’étaient Antonio le Malaï, et Miko-Miko le Chinois. Tous deux suivaient le cochon depuis le point du départ, et ne l’avaient pas quitté une minute : plus de cent fois déjà la queue leur avait glissé dans la main, mais à chaque fois ils avaient senti le progrès qu’ils faisaient ; et ces tentatives infructueuses, loin de les décourager, les avaient enflammés d’un nouveau courage. Enfin, après avoir lassé tous leurs concurrents, ils arrivèrent à n’être