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de l’Angleterre, à la peau transparente, aux cheveux aériens, au cou doucement incliné. Aussi, aux yeux de tous les jeunes gens, les bouquets que toutes ces belles spectatrices tenaient à la main eussent, selon toute probabilité, été des prix bien autrement précieux que toutes les coupes d’Odiot, tous les fusils de Menton, et tous les parapluies de Verdier, que dans sa fastueuse générosité pouvait leur offrir le gouverneur.

Au premier rang de la tribune de lors Williams était Sara, placée entre monsieur de Malmédie et mamie Henriette : quant à Henri, il était sur le turf, tenant tous les paris qu’on voulait engager contre lui, et, il faut le dire, on en engageait peu, car, outre qu’il était excellent écuyer, et tout à fait renommé dans les courses, il possédait en ce moment un cheval qui passait pour le plus vif qu’on eût vu dans l’île.

À onze heures, la musique de la garnison, placée entre les deux tribunes, donna le signal de la première course : c’était, comme nous l’avons dit, la course du cochon.

Le lecteur connaît cette grotesque plaisanterie en usage dans plusieurs villages de France : on graisse la queue d’un cochon avec du saindoux, et les prétendants essaient les uns après les autres de retenir l’animal, qu’il ne leur est permis de saisir que par ladite queue. Celui qui l’arrête est le vainqueur. Cette course étant du domaine public, et chacun ayant droit d’y prendre part, personne ne s’était fait inscrire.

Deux nègres amenèrent l’animal : c’était un magnifique porc de la plus haute taille, graissé d’avance et tout prêt d’entrer en lice. À sa vue, un cri universel retentit ; et nègres, Indiens, Malais, Madécasses et indigènes, rompant la barrière respectée jusque-là, se précipitèrent vers l’animal qui, épouvanté de cette débâcle, commença à fuir.

Mais les précautions avaient été prises pour qu’il ne pût point échapper à ses poursuivants ; la pauvre bête avait les deux pattes de devant attachées aux deux pattes de derrière, à peu près à la manière dont on attache les pieds des chevaux à qui on veut faire marcher l’amble. Il en résulta que le cochon ne pouvant se livrer qu’à un trot très modéré, fut bientôt rejoint, et que les désappointements commencèrent.

Comme on le pense bien, les chances d’un pareil jeu ne sont pas pour ceux qui commencent. La queue graissée à neuf