Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

première fois, elle avait aperçu Georges, l’image, la tournure, et jusqu’au son de la voix du beau jeune homme étaient restés dans son esprit ; alors, et avec un soupir involontaire, elle avait plus d’une fois pensé à son futur mariage avec Henri, mariage auquel elle avait, depuis dix ans, donné son consentement tacite, par le fait que jamais elle n’avait laissé soupçonner que des circonstances pouvaient naître, qui feraient pour elle de ce mariage une obligation impossible à remplir. Mais déjà, à partir du jour du dîner chez le gouverneur, elle avait senti que prendre son cousin pour mari, c’était se condamner à un malheur éternel. Enfin, comme nous l’avons vu, il était arrivé un moment où non-seulement cette crainte était devenue une conviction, mais encore où elle s’était solennellement engagée avec Georges de n’être jamais à un autre qu’à lui. Or, on en conviendra, c’était une situation qui devait donner fort à réfléchir à une jeune fille de seize ans, et lui faire envisager sous un point de vue moins important qu’elle ne l’avait fait encore, toutes ces fêtes et tous ces plaisirs, qui jusqu’à ce moment lui avaient paru les événements les plus importants de la vie.

Depuis cinq ou six jours aussi, messieurs de Malmédie n’étaient point exempts de quelque préoccupation : le refus de Sara de danser avec aucun autre, dès lors qu’elle ne dansait pas avec Georges, sa retraite du bal au moment où il commençait à s’ouvrir, elle qui ne l’abandonnait ordinairement que la dernière ; son silence obstiné chaque fois que son cousin ou son oncle ramenait la question du futur mariage sur le tapis, tout cela ne leur paraissait pas naturel ; aussi tous deux avaient-ils décidé que les préparatifs du mariage se feraient sans en parler autrement à Sara, et que, lorsque tout serait presque prêt, elle en serait seulement avertie. La chose était d’autant plus simple qu’on n’avait jamais fixé d’époque à cette union, et que Sara venant d’atteindre seize ans, était parfaitement en âge de remplir les vues que monsieur de Malmédie avait toujours eues sur elle.

Toutes ces préoccupations particulières formaient une préoccupation générale qui jetait, depuis trois ou quatre jours, beaucoup de froid et de gêne dans les réunions qui avaient lieu entre les différents personnages qui habitaient la maison