Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saires, et la police est alors obligée d’intervenir pour empêcher une lutte mortelle.

Mais cette année, grâce à l’active intervention d’un négociateur inconnu, animé sans doute d’un zèle religieux, les deux bandes avaient abdiqué leurs jalousies et s’étaient réunies pour n’en plus former qu’une seule ; aussi le bruit, comme nous l’avons dit, s’était-il généralement répandu que la solennité serait à la fois plus paisible et plus éclatante que les années précédentes.

On comprend combien, dans une localité où il y a aussi peu de distraction que dans l’Île de France, cette fête, toujours curieuse même pour ceux qui l’ont vue depuis leur enfance, est attendue avec impatience.

C’est trois mois à l’avance l’objet de toutes les conversations ; on ne parle que du gouhn qui doit être le principal ornement de la fête. Or, après avoir dit ce que c’est que la fête, disons maintenant ce que c’est que le gouhn.

Le gouhn est une espèce de pagode en bambou, haute ordinairement de trois étages superposés les uns aux autres, allant toujours en diminuant, et recouverte de papiers de toutes couleurs : chacun de ces étages se construit dans une case à part, carrée comme lui, et qu’on éventre par l’une de ses quatre faces pour l’en faire sortir ; puis on transporte les trois étages dans une quatrième case, qui permet, par sa hauteur, qu’on les établisse au-dessus les uns des autres. Là, on les réunit par des ligatures, et on met la dernière main à son ensemble et à ses détails ; pour arriver à un résultat digne de l’objet qu’ils se proposent, les Lascars vont quelquefois quatre mois à l’avance chercher par toute la colonie les ouvriers les plus habiles ; Indiens, Chinois, noirs libres et noirs esclaves, sont mis à contribution. Seulement, au lieu de payer la journée de ces derniers à eux-mêmes, on la paye à leur maître.

Au milieu des pertes individuelles que chacun avait à déplorer, ce fut donc avec une joie générale que l’on apprit que la case où était le gouhn arrivé à un état complet de perfection, abritée qu’elle était dans l’embranchement de la montagne du Pouce, avait échappé à tout accident. Rien ne manquerait donc cette année à la fête à laquelle le gouver-