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rapprochait d’elle. L’aiguille marqua successivement neuf heures, neuf heures et demie, dix heures moins un quart, et la tempête, loin de se calmer, devenait de moments en moments plus terrible. La maison tremblait jusqu’en ses fondements, et l’on eût dit à chaque instant que le vent qui la secouait allait l’arracher de sa base. De temps en temps, au milieu des plaintes des filaos, au milieu des cris des nègres dont les cases, moins solides que les maisons des blancs, se brisaient au souffle de l’ouragan, comme au souffle de l’enfant se brise le château de cartes qu’il vient d’élever, on entendait retentir, répondant au tonnerre, le lugubre appel de quelque bâtiment en détresse qui réclamait du secours, avec la certitude que nul être humain ne pouvait lui en porter.

Parmi tous ces bruits divers, échos de la dévastation, il sembla à Sara qu’elle entendait le hennissement d’un cheval.

Alors Sara se releva tout à coup ; sa résolution était prise. L’homme qui au milieu de pareils dangers, quand les plus braves tremblaient dans leurs maisons, venait à elle, traversant les forêts déracinées, les torrents grossis, les précipices béants, et tout cela pour lui dire : « Je vous aime, Sara, m’aimez-vous ? » cet homme était vraiment digne d’elle. Et si Georges avait fait cela, Georges qui lui avait sauvé la vie, et qui à son tour pour elle exposait sa vie, alors elle était à Georges, comme Georges était à elle. Ce n’était plus une résolution qu’elle prenait avec son libre arbitre, c’était une main divine qui la courbait sans qu’elle pût s’y opposer sous une destinée arrêtée d’avance : elle ne décidait plus elle-même son sort, elle obéissait passivement à une fatalité.

Alors, avec cette décision que donnent les circonstances suprêmes, Sara sortit de sa chambre, gagna l’extrémité du corridor, descendit par le petit escalier extérieur que nous avons indiqué, et qui semblait se mouvoir sous ses pieds, se trouva à l’angle de la cour carrée, s’avança, heurtant des débris à chaque pas, s’appuyant, pour ne pas être renversée par le vent, au mur du pavillon, et gagna la porte ; au moment où elle mettait la main à la clef, un éclair passa, lui montrant ses manguiers tordus, ses lilas échevelés, ses fleurs brisées ; alors seulement elle put prendre une idée de cette convulsion profonde dans laquelle la nature se débattait. Alors elle songea qu’elle allait peut-être attendre vainement, et que Georges ne