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main, et, sans paraître comprendre le tremblement de celle du vieillard, il sortit d’un pas aussi assuré et d’un visage aussi calme qu’il fût sorti dans les circonstances ordinaires de la vie. À la porte, il rencontra Ali qui, avec la passivité de l’obéissance orientale, tenait par la bride Antrim tout sellé. Comme s’il eût reconnu le sifflement du simoun ou les rugissements du Khamsin, l’enfant du désert se cabrait en hennissant ; mais à la voix bien connue de son cavalier, il parut se calmer, et tourna de son côté son œil hagard et ses naseaux fumants. Georges le flatta un instant de la main en lui disant quelques mots arabes ; puis, avec la légèreté d’un écuyer consommé, il sauta en selle sans le secours de l’étrier ; au même instant Ali lâcha la bride, et Antrim partit avec la rapidité de l’éclair, sans que Georges eût même vu son père qui, pour se séparer le plus tard possible de son fils bien-aimé, avait entr’ouvert la porte, et qui le suivit des yeux jusqu’au moment où il disparut au bout de l’avenue qui conduisait à l’habitation.

C’était au reste une chose admirable à voir que cet homme emporté d’une course aussi rapide que l’ouragan au milieu duquel il passait, franchissant l’espace, pareil à Faust, se rendant au Broken sur son coursier infernal. Tout autour de lui était désordre et confusion. On n’entendait que le craquement des arbres broyés par l’aile du vent. Les cannes à sucre, les plants de manioc arrachés de leurs tiges traversaient l’air, pareils à des plumes emportées par le vent. Des oiseaux saisis au milieu de leur sommeil et enlevés par un vol qu’ils ne pouvaient plus diriger, passaient tout autour de Georges en poussant des cris aigus, tandis que de temps en temps quelque cerf effrayé traversait la route avec la rapidité d’une flèche. Alors Georges était heureux, car Georges sentait son cœur se gonfler d’orgueil ; lui seul était calme au milieu du désordre universel, et quand tout pliait ou se brisait autour de lui, lui seul poursuivait son chemin vers le but que lui fixait sa volonté, sans que rien pût le faire dévier de sa route, sans que rien pût le distraire de son projet.

Il alla ainsi une heure à peu près, franchissant les troncs d’arbres brisés, les ruisseaux devenus torrents, les pierres déracinées et roulant du haut des montagnes ; puis il aperçut