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ser : un de ces terribles ouragans, qui sont la terreur des colonies, menaçait l’Île de France. La nuit, comme nous l’avons dit, était venue avec une vitesse effrayante ; mais les éclairs se succédaient avec une telle rapidité et un tel éclat, que cette obscurité était remplacée par un jour bleuâtre et livide qui donnait à tous les objets la teinte cadavéreuse de ces mondes expirés que Biron fait visiter à Caïn, sous la conduite de Satan. Chacun des courts intervalles, pendant lesquels ces éclairs presque incessants laissaient les ténèbres maîtresses de la terre, était rempli par de lourds grondements de tonnerre qui prenaient naissance derrière les montagnes, semblaient rouler sur leurs pentes, s’élevaient au-dessus de la ville, et venaient se perdre dans les profondeurs de l’horizon. Puis, comme nous l’avons dit, de larges et puissantes bouffées de vent suivaient la foudre voyageuse et passaient à leur tour, courbant, comme s’ils eussent été des baguettes de saule, les arbres les plus vigoureux, qui se relevaient lentement et pleins de crainte, pour se courber, se plaindre et gémir encore sous quelque nouvelle rafale toujours plus forte que celle qui la précédait.

C’était au cœur de l’île surtout, dans le quartier de Moka et dans les plaines Williams, que l’ouragan, libre et comme joyeux de sa liberté, était plus magnifique à contempler. Aussi Pierre Munier était-il doublement effrayé de voir Jacques parti et Georges prêt à partir ; mais, toujours faible devant une force morale quelconque, le pauvre père avait plié, et, tout en frémissant aux mugissements du vent, tout en pâlissant aux grondements de la foudre, tout en tressaillant à chaque éclair, il n’essayait plus même de retenir Georges près de lui. Quant au jeune homme, on eût dit qu’il grandissait à chaque minute qui le rapprochait du danger ; tout au contraire de son père, à chaque bruit menaçant il relevait la tête, à chaque éclair il souriait ; lui qui avait jusqu’alors essayé de toutes les luttes humaines, on eût dit qu’il lui tardait, comme à don Juan, de lutter avec Dieu.

Aussi, lorsque l’heure du départ fut venue, avec cette inflexibilité de résolution qui était le caractère distinctif, nous ne dirons pas de l’éducation qu’il avait reçue, mais qu’il s’était donnée, Georges s’approcha de son père, lui tendit la