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XV.

LA BOÎTE DE PANDORE.


Ce fut, comme on le comprend bien, un grand bonheur pour ce père et pour ces frères qui ne s’étaient pas vus depuis si longtemps, que de se trouver ainsi réunis au moment où ils s’y attendaient le moins : il y eut bien au premier moment dans le cœur de Georges, grâce à un reste d’éducation européenne, un mouvement de regret en retrouvant son frère marchand de chair humaine ; mais ce premier mouvement fut bien vite dissipé. Quant à Pierre Munier, qui n’avait jamais quitté l’île, et qui par conséquent devait tout envisager du point de vue des colonies, il n’y fit pas même attention ; il était d’ailleurs entièrement absorbé, le pauvre père, dans le bonheur inespéré de revoir ses enfants.

Jacques, comme c’était tout simple, revint coucher à Moka. Georges, lui et leur père ne se séparèrent que fort avant dans la nuit. Pendant cette première et intime causerie, chacun fit part à ces intimes de son âme de tout ce qu’il avait dans le cœur. Pierre Munier épancha sa joie. Il n’avait rien autre chose en lui que son amour paternel. Jacques raconta sa vie aventureuse, ses plaisirs étranges, son bonheur excentrique. Puis vint le tour de Georges, et Georges raconta son amour.

À ce récit, Pierre Munier frémit de tous ses membres. Georges, mulâtre, fils de mulâtre, aimait une blanche, et déclarait en avouant son amour que cette femme lui appartiendrait. C’était une audace inouïe et sans exemple aux colonies, qu’un pareil orgueil ; et, à son avis, cet orgueil devait attirer sur celui dans le cœur duquel il s’était allumé, toutes les douleurs de la terre et toute la colère du ciel.

Quant à Jacques, il comprenait parfaitement que Georges aimât une femme blanche, quoique, pour mille raisons qu’il déduisait à merveille, il préférât de beaucoup les femmes noires. Mais Jacques était trop philosophe pour ne pas compren-