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ouvertures sur le mariage. Mais Jacques avait ses idées à l’endroit de l’amour. Jacques connaissait sa mythologie et son histoire sainte à fond ; il savait l’apologue d’Hercule et d’Omphale et l’anecdote de Samson et de Dalila. Aussi avait-il décidé qu’il n’aurait pas d’autre femme que la Calypso. Quant à des maîtresses, Dieu merci, il n’en manquait pas ; il en avait de noires, de rouges, de jaunes et de chocolat, selon qu’il chargeait au Congo, aux Florides, au Bengale et à Madagascar. À chaque voyage il en prenait une nouvelle, qu’il donnait en arrivant à quelque ami, chez lequel il était sûr qu’elle serait bien traitée, s’étant fait un système de ne jamais garder la même, de crainte, quelle que fût sa couleur, qu’elle ne prît une influence quelconque sur son esprit ; car, il faut le dire, ce que Jacques aimait avant toutes choses, c’était sa liberté.

Puis, ajoutons que Jacques avait encore une foule d’autres plaisirs. Jacques était sensuel comme un créole. Toutes les grandes choses de la nature l’affectaient agréablement ; seulement, au lieu d’impressionner son esprit, elles agissaient sur ses sens. Il aimait l’immensité, non pas parce que l’immensité fait rêver à Dieu, mais parce que plus il y a d’espace, mieux on respire ; il aimait les étoiles, non pas parce qu’il pensait que c’étaient autant de mondes roulants dans l’espace, mais parce qu’il trouvait doux d’avoir au-dessus de sa tête un dais d’azur brodé de diamants ; il aimait les hautes forêts, non pas parce que leurs profondeurs sont pleines de voix mystérieuses et poétiques, mais parce que leur voûte épaisse projette une ombre que ne peuvent pas percer les rayons du soleil.

Quant à son opinion sur l’état qu’il exerçait, son opinion était que c’était une industrie parfaitement légale. Il avait toute sa vie vu vendre et acheter des nègres ; il pensait donc dans sa conscience que les nègres étaient faits pour être vendus et achetés. Quant à la validité du droit que l’homme s’est arrogé de trafiquer de son semblable, cela ne le regardait aucunement ; il achetait et payait, donc la chose était à lui, et, du moment où il avait acheté et payé, il avait le droit de revendre : aussi, jamais Jacques n’avait imité une seule fois l’exemple de ses confrères, qu’il avait vus faire la chasse