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c’était ainsi que se nommait le bâtiment qu’avait choisi Jacques pour faire son apprentissage nautique ; il y avait bien eu, depuis six années, deux récalcitrants, l’un Normand et l’autre Gascon, l’un contre l’autorité du capitaine et l’autre contre l’autorité du lieutenant. Mais le capitaine avait fendu la tête de l’un d’un coup de hache, et le lieutenant avait crevé la poitrine du second d’un coup de pistolet ; tous deux étaient morts sur le coup. Puis, comme rien n’embarrasse la manœuvre comme un cadavre, on avait jeté le cadavre par-dessus bord et il n’en avait plus été question. Seulement ces deux événements, pour n’avoir laissé de trace que dans le souvenir des habitants, n’en avaient pas moins exercé sur les esprits une salutaire influence. Personne depuis ce temps n’avait eu l’idée de chercher querelle au capitaine Bertrand ni au lieutenant Rébard. C’étaient les noms de ces deux braves, et ils avaient dès lors joui d’une autorité parfaitement autocratique à bord de la Calypso.

Jacques avait toujours eu une vocation décidée pour la mer : tout enfant, il était sans cesse à bord des bâtiments en rade à Port-Louis, montant dans les haubans, grimpant dans les hunes, se balançant sur les vergues, se laissant glisser le long des cordages : comme c’était surtout à bord des navires en relation de commerce avec son père que Jacques se livrait à ses exercices gymnastiques, les capitaines avaient une grande complaisance à son égard, satisfaisant sa curiosité enfantine, lui donnant l’explication de toute chose et le laissant monter de la cale aux mâts de perroquets et descendre des mâts de perroquets à la cale. Il en résultait qu’à dix ans Jacques était un mousse de première force, attendu qu’à défaut de bâtiment, comme tout pour lui représentait un navire, il grimpait sur les arbres dont il faisait des mâts et le long des lianes, dont il faisait des cordages, et qu’à douze ans, comme il savait les noms de toutes les parties d’un bâtiment, comme il savait toutes les manœuvres qui s’exécutent à bord d’un vaisseau, il eût pu entrer comme aspirant de première classe sur le premier bâtiment venu.

Mais, comme nous l’avons vu, son père en avait décidé autrement, et au lieu de l’envoyer à l’école d’Angoulême, où l’appelait sa vocation, il l’avait envoyé au collége Napoléon.