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ports, était aussi souvent à l’ancre que cette autre marine, vive, légère et indépendante, était souvent en course. Chaque jour en effet c’était quelque nouveau combat, non pas que nos corsaires, tout hardis qu’ils fussent, allassent chercher noise aux vaisseaux de guerre ; mais, friands qu’ils étaient de marchandises de l’Inde et de la Chine, ils s’attaquaient à tous ces bons gros bâtiments à ventres rebondis, qui revenaient soit de Calcutta, soit de Buenos-Ayres, soit de la Vera-Cruz. Or, ou ces bâtiments à la démarche respectable étaient convoyés par quelque frégate anglaise ayant bec et ongle, ou ils avaient pris eux-mêmes le parti de s’armer et de se défendre pour leur propre compte. Dans ce dernier cas, ce n’était qu’un jeu, une escarmouche de deux heures, et tout était fini ; mais, dans l’autre, les choses changeaient de face ; cela devenait plus grave ; on échangeait bon nombre de boulets ; on se tuait bon nombre d’hommes ; on se brisait bon nombre d’agrès ; puis on venait à l’abordage ; et, après s’être foudroyé de loin, on s’exterminait de près.

Pendant ce temps-là, le navire marchand filait, et s’il ne rencontrait pas, comme l’âne de la fable, quelque autre corsaire qui lui mît la main dessus, il rentrait dans quelque port de l’Angleterre, à la grande satisfaction de la compagnie des Indes, qui votait des rentes à ses défenseurs. Voilà comme les choses se passaient à cette époque. Sur trente ou trente-un jours dont se composaient les mois, on se battait pendant vingt ou vingt-cinq jours ; puis, pour se reposer des jours de combat, on avait les jours de tempête.

Or, nous le répétons, on apprenait vite à pareille école. D’abord, comme on n’avait pas la conscription pour se recruter, et que cette petite guerre d’amateurs ne laissait pas que de consommer à la longue une assez grande quantité d’hommes, les équipages ne se trouvaient jamais au grand complet. Il est vrai que comme les matelots étaient tous des volontaires, la qualité, dans ce cas, remplaçait avantageusement la quantité ; aussi, au jour de la bataille ou de la tempête, personne n’avait d’attributions fixes ; chacun était bon à tout. Du reste, obéissance passive au capitaine, quand le capitaine était là, et au second, en l’absence du capitaine. Il y avait bien eu, comme il y en a partout, à bord de la Calypso,