Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ramé le fusil sur l’épaule. Celui qui était descendu le premier leur fit un signe, et ils commencèrent à débarquer les nègres. Il y en avait trente de couchés au fond de la barque ; une seconde chaloupe devait en amener encore autant.

Alors les deux mulâtres et l’homme qui était descendu le premier s’abordèrent et échangèrent quelques paroles. Il en résulta que Georges et son père furent convaincus de ce dont ils s’étaient déjà douté, c’est qu’ils avaient devant les yeux le capitaine négrier lui-même.

C’était un homme de trente à trente-deux ans à peu près, de haute taille et ayant tous les signes de la force physique arrivée à ce degré qui commande naturellement le respect : il avait les cheveux noirs et crépus, des favoris passant sous le cou et des moustaches joignant ses favoris ; son visage et ses mains, hâlés par le soleil des tropiques, étaient arrivés jusqu’à la teinte des Indiens de Timor ou de Pégu. Il était vêtu de la veste et du pantalon de toile bleue particuliers aux chasseurs de l’Île de France, et portait, comme eux encore, un large chapeau de paille et un fusil jeté sur l’épaule ; seulement, de plus qu’eux, un sabre recourbé, de la forme des sabres arabes, mais plus large et ayant une poignée à la manière des claymores écossaises, pendait à sa ceinture.

Si le capitaine négrier avait été l’objet d’un examen approfondi de la part des deux habitants de Moka, ceux-ci, de leur côté, avaient eu à subir de sa part une investigation non moins complète. Les yeux du commerçant en chair noire se portaient de l’un à l’autre avec une égale curiosité, et semblaient, à mesure qu’il les examinait davantage, s’en pouvoir moins détacher. Sans doute Georges et son père, ou ne s’aperçurent point de cette persistance, ou ne pensèrent pas qu’elle dût autrement les inquiéter, car ils entamèrent le marché pour lequel ils étaient venus, examinant les uns après les autres les nègres que la première chaloupe avait amenés et qui étaient presque tous de la côte occidentale d’Afrique, c’est-à-dire de la Sénégambie et de la Guinée, circonstance qui leur donne toujours une valeur plus grande, attendu que, n’ayant pas, comme les Madécasses, les Mozambiques et les Cafres, l’espoir de regagner leur pays, ils n’essaient presque jamais de s’enfuir. Or, comme, malgré cette cause de hausse, le capi-