Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu non-seulement au profit de son orgueil, mais encore à celui de son amour.

Seulement, comme nous l’avons dit, blessé lui-même au moment du combat, Georges perdait l’avantage du sang-froid ; il est vrai qu’en échange il gagnait la véhémence de la passion.

Mais, si, dans une existence blasée, si sur un cœur flétri comme ceux de Georges, la vue de la jeune fille avait produit l’impression que nous avons dite, l’aspect du jeune homme et les circonstances dans lesquelles il lui était successivement apparu avaient dû produire une bien autre impression sur l’existence juvénile et sur l’âme vierge de Sara. Élevée depuis le jour où elle avait perdu ses parents dans la maison de monsieur de Malmédie, destinée dès cette époque à doubler par sa dot la fortune de l’héritier de la maison, elle s’était habituée dès lors à regarder Henri comme son futur mari, et elle s’était d’autant plus facilement soumise à cette perspective, que Henri était un beau et brave garçon, cité parmi les plus riches et les plus élégants colons non-seulement de Port-Louis, mais de toute l’île. Quant aux autres jeunes gens amis de Henri, ses cavaliers à la chasse, ses danseurs au bal, elle les connaissait depuis trop longtemps pour que l’idée lui vînt jamais de distinguer aucun d’eux ; c’était pour Sara des amis de sa jeunesse, qui devaient l’accompagner tranquillement de leur amitié pendant le reste de sa vie, et voilà tout.

Sara était donc dans cette parfaite quiétude d’âme, lorsque, pour la première fois, elle avait aperçu Georges. Dans la vie d’une jeune fille, un beau jeune homme inconnu, à l’air distingué, aux formes élégantes, est partout un événement, et à bien plus forte raison, comme on le comprend bien, à l’Île de France.

La figure du jeune étranger, le timbre de sa voix, les paroles qu’il avait dites, étaient donc demeurées, sans qu’elle sût pourquoi, dans la mémoire de Sara comme demeure un air qu’on n’a entendu qu’une fois, et que cependant on répète dans sa pensée. Sans doute Sara, au bout de quelques jours, eût oublié ce petit événement, si elle eût revu ce jeune homme dans des circonstances ordinaires ; peut-être même un examen plus approfondi, comme celui qu’amène une seconde ren-